Philippe Brach / Portrait de famine : Peur de rien pantoute
Rentrée culturelle automne 2015

Philippe Brach / Portrait de famine : Peur de rien pantoute

Philippe Brach est d’une extrême candeur, le genre de franchise exacerbée qui rend les maisons de disques nerveuses. Entrevue téléphonique franchement pas conventionnelle entre une journaliste et un auteur-compositeur-interprète qui se sont connus à l’école – on aimait mieux le préciser.

La première fois que j’ai entendu Phil Boutch chanter, c’était, je crois, par l’entremise du DVD des initiations du Cégep de Jonquière. Il était dans un band qui s’appelait Buffet Froid. Ça portait à confusion à cause des affiches, parce qu’on pensait d’emblée à un souper communautaire. Ou à une assemblée générale de l’association étudiante qui servait le lunch pour convaincre les Séraphin de se pointer.

À l’époque, le gars jouait aussi pour la ligue d’impro locale et étudiait en production télévisuelle dans le fameux (j’aime y croire) programme Art et technologie des médias. J’ai le souvenir incroyablement précis d’une perfo donnée à la salle François-Brassard et de m’être tournée vers mon chum de l’époque pour lui dire: «Ce gars-là, il va percer rendu à Montréal, c’est certain. On le revoit à l’ADISQ dans quelques années!» Il brillait, son charisme débordait, il était quelque chose comme cent mille fois plus à l’aise que les autres participants de la finale locale de Cégep en spectacle.

Or, à ce moment-là, Bouchard avait déjà créé l’événement en participant aux auditions télévisées de Star Académie. Il était une ou deux cohortes au-dessus de moi, je ne le connaissais même pas, mais on s’était réunis devant une télé aux résidences pour l’écouter. Tout le monde l’aimait. Il se souvient de cet épisode-là, un événement complètement fucked up dans son parcours de créateur qui avait commencé par un «t’es pas game» lancé par ses chums. «On est passés devant le Montagnais à Chicoutimi, c’était la fin de l’après-midi et on était ben défoncés. Je suis rentré là-bas, j’ai pogné une guit à quelqu’un, j’ai fait mon audition, j’ai été sélectionné. […] Je suis allé faire l’audition à la télé, je trouvais ça excitant, c’était un gros mobile! J’y allais plus pour la prod en me disant que j’allais me faire tasser, mais j’ai été choisi par le public.» Finalement, bien qu’acculé au pied du mur, il refusera de débarquer au «chalet» des Péladeau de Sainte-Adèle avec ses valises. De toute façon, il n’aurait jamais signé le contrat des Productions J. «C’est clair que, dans ce temps-là, c’était pas payant pour un auteur-compositeur-interprète. C’est zéro péjoratif ce que je vais dire, même si ça le sonne incroyablement, mais c’est sûr que c’est plus tentant pour la coiffeuse de Laval qui interprète des tounes et qui se retrouve tapissée mur à mur et qui fait plein de cash. Pour elle, c’est presque legit

Mai 2012. Philippe se dévoile sous un nom d’artiste et lance un premier EP où on peut entendre Dans ma tête, notamment. Il remporte les Francouvertes deux ans plus tard, presque jour pour jour, et un mois après avoir fait paraître son premier disque complet sous l’étiquette Spectra Musique. Artiste complet, connu, accompli, je le retrouve sept ans plus tard pour parler de son deuxième album.

 

Portrait de famine

Interrogé sur la signification du titre de son disque, Philippe Brach fait une fois de plus preuve d’une honnêteté déroutante. «Y a des tounes qui sont ultra-personnelles sur l’album et y en a d’autres que ce sont des trucs que j’ai pas vécus, c’est plus fictif, c’est plus dans le narratif. Je m’empêche pas d’aller à un endroit parce que les 14 autres tounes vont ailleurs. Ça devient un peu disparate. Fait que, t’sais, un esti de move de jambon de vedge que je trouve le fun, c’est de prendre un mot comme « portrait », qui fait que tu peux câlisser n’importe quoi sur l’album et les journalistes vont gober ça comme c’est pas probable.»

Son réalisateur, nul autre que Louis-Jean Cormier, a quand même eu le souci d’intégrer des rappels musicaux, sorte de repères sonores pour une meilleure cohésion, comme avec les cordes qui reviennent somme toute pas mal souvent. Des arrangements très seventies qu’il a confiés à son ami Gabriel Desjardins et qui ont été approuvés par le preneur de son aussi mixeur Pierre Girard. Le sceau d’approbation suprême, selon Phil. «C’est vraiment cool, parce que c’est son premier projet comme arrangeur. C’est un pianiste et y avait jamais fait ça. Y est très séquelle, fait que y est très, très prodige, le ti-crisse.»

En studio, il a aussi invité Klô Pelgag, qui chante sur Si proche et si loin à la fois en duo avec lui. «À la base, je voulais que ce soit une petite fille qui chante tout le long, mais Louis-Jean trouvait ça ben trop trash compte tenu du texte. C’est une des rares fois où Louis-Jean a mis la pédale de frein et qu’il m’a dit: « Je pense que t’as atteint tes limites, mon Brach, moi je mets pas mon nom là-dessus! »» N’empêche, croit-il, cette collaboration était naturellement logique en raison de la voix haute et presque enfantine de Klô. Des aptitudes vocales qui vont de pair avec l’histoire que la pièce raconte. «J’ai écrit le clip avant même de faire la toune. C’est un court métrage qui est devenu une chanson. C’est pour ça qu’elle est plus cinématographique un peu dans l’angle de vue. Je trouvais ça intéressant, le couple qui s’obstine pour des maudites niaiseries pendant que la petite fille est en train de se noyer à côté par pure négligence parentale.»

Mais dis donc, Philippe, t’as formé toute une dream team pour cet album-là! «Comme c’est moi qui produis, et que je m’en crisse un peu d’avoir de l’argent dans la vie, je le dépense de même. En fait, je m’endette. J’ai dépensé de l’argent qui m’appartient pas. […] Dans le fond, l’album, il m’a coûté 55 000$. Là-dedans, y a un 20 000$ que j’ai eu de Musicaction, un 10 000$ des Francouvertes et je me suis endetté de 25 000$.»

Petit conseil pour vous, les jeunes: ne montrez pas cet article à vos parents si vous essayez de faire accepter votre choix de carrière comme musicien.

 

Un œil de pirate, une chaise roulante et un reptile

Le prochain vidéoclip de Philippe Brach sera réalisé par Akim Gagnon, le frère de VioleTT Pi, cinéaste qui avait mis en images Le matin des raisons au début de l’été 2014. Ensemble, ils s’inspireront de l’univers hitchcockien pour un court film lié à Crystel. «Ça va être un peu comme Rear Window. Dans le fond, c’est mon personnage en chaise roulante, celui sur la pochette avec le tégu d’Argentine. […] Le concept du clip, c’est qu’il checke dans l’appart d’à côté, où y a un réseau de prostitution qui tue ses clients. C’est des petites filles de 12 ans qui nettoient. À la fin, y a une fille qui m’appelle et qui me dit: « Envoye, fais-le pour moi, s’il te plaît! » Fait que je me crisse un sac sur la tête pendant qu’elle se doigte.»

Il lâche un gros rire machiavélique, puis il enchaîne. «Ouain, ça va être quand même assez colon, je suis pas sûr que ça va passer à MusiquePlus. C’est sûr qu’on va être censuré à plein de places.»

Vous avez envie de lui parler, vous aussi? Un numéro de téléphone sera inscrit dans la pochette de l’exemplaire physique de ses CD et vinyles. Malaises quasi garantis.

 

Portraits de famine

(Spectra Musique)

Sortie le 4 septembre 2015

 

Rouyn-Noranda: vendredi 4 septembre à la Salle La Légion dans le cadre du FME

Montréal: jeudi 19 novembre au National

Québec: jeudi 3 décembre au Théâtre Petit Champlain

Autres dates via philippebrach.com