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Mitt Romney, mormon…

J’ai récemment appris, ce que je ne savais pas, que le grand sociologue Max Weber (1864-1920) avait visité les États-Unis en 1904 pour prendre part, à Saint-Louis, au Congress of Arts and Sciences qui s’y tenait dans le cadre de l’Exposition universelle de cette année-là.

L’auteur de L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme, dont on connait la grande perspicacité, ne pouvait manquer d’être frappé par l’immensité de la place prise par la religion dans tous les aspects de la vie américaine et donc, entre autres, dans la vie politique et dans le monde des affaires.

Weber écrira à ce sujet:

«Le fait d’être membre d’une congrégation constitue une absolue garantie des qualités morales d’un homme (sic) et tout spécialement de ces qualités morales qui sont indispensables dans le monde des affaires. […] Et si le membre d’une congrégation doit aller habiter ailleurs, ou s’il est un vendeur itinérant, il porte sur lui un certificat de sa congrégation: non seulement se fait il de la sorte facilement des contacts avec des membres de la même secte, mais cela le rend aussi crédible aux yeux d’autrui». (Ma traduction)

La place de la religion dans la vie publique, on le sait, est restée immense chez nos voisins du Sud (la situation est il est vrai très variable selon les régions), et on trouve parfois des niveaux et des contenus de croyance qui, en certains cas,  n’ont guère d’équivalent de par le monde, si ce n’est dans des pays où fleurissent les fondamentalismes de tout poil.

En novembre dernier, la House of Representatives (la Chambre des représentants) a d’ailleurs voté en faveur d’une motion réaffirmant le motto officiel du pays: «In god we trust». À peu près au même moment, le Public Religion Research Institute rendait publics les résultats d’une enquête dans laquelle on apprenait notamment que 67% des Américains seraient «mal à l’aise» (uncomfortable) avec l’idée que leur Président n’ait pas de croyance religieuse. Bref, et cela confirme ce que l’on sait fort bien: un président américain agnostique ou athée, ce n’est pas pour demain.

Dans sa plus récente livraison, The New Humanist propose un survol des idées religieuses que professent des candidats républicains à l’investiture de leur parti, de ces idées, donc, qui font que 67% de l’électorat américain se sent bien à l’aise avec de tels présidentiables — qui sont tous, en plus d’être de fervents croyants, des conservateurs fiscaux et politiques.

On apprend notamment dans ce  reportage comment Rick Perry (un Méthodiste devenu Chrétien évangélique) a lancé sa campagne en tenant une rallye de jeûne et de prière au Reliant Stadium de Houston auquel ont assisté des milliers personnes (son discours à cette occasion se trouve ici); que Michelle Bachmann a eu à se positionner devant Éphésiens 5: 22-24: (si vous avez oublié, on y lit: «Femmes, [soumettez-vous] à votre mari comme au Seigneur,car le mari est le chef de la femme, comme Christ est le chef de l’Eglise qui est son corps et dont il est le Sauveur. Mais tout comme l’Eglise se soumet à Christ, que les femmes aussi se soumettent en tout à leur mari.» … que fera l’éventuelle Présidente, on se le demande… ); que Newt Gingrich a déclaré qu’il «refuserait de recevoir des leçons de quiconque serait mal à l’aise de devoir expliquer que nos droits fondamentaux proviennent de notre Créateur»; que Richard John (Rick) Santorum voit une nette distinction entre la Sharia et la situation américaine: «Contrairement à l’Islam, où la loi suprême et la loi civile sont identiques, chez nous, nous avons une loi civile. Mais elle doit être conforme à la loi suprême».

En fait, chez tous ces Chrétiens transparait peu ou prou de cette idéologie appelée Dominionisme et qui définit une stratégie et une ambition  de dominer, de contrôler, par la religion le processus politique et la société civile à travers ses grandes institutions: médias, monde  des affaires, éducation, gouvernement.

Bref: Weber retournerait aux États-Unis aujourd’hui et il pourrait constater que son homme d’affaires a fait du chemin.

Parmi tous les candidats républicains, il y en a pourtant un qui s’efforce de ne pas trop parler de religion : il s’agit de Mitt Romney. Celui-ci est en effet un Mormon: or 36% des Américains considèrent que le mormonisme n’est pas une secte chrétienne, ce qui le disqualifierait. On se demande pourquoi on est aussi sévère avec le mormonisme, puisque celui-ci, comme toutes les religions et notamment la chrétienne, a sa bonne part de croyances délirantes, et pourrait même être un sérieux candidat pour remporter la palme des croyances les plus … , les plus… je manque de mot, vous en trouverez bien un.

Pour vous aider à la trouver, voici quelques-unes des choses qu’il faut savoir sur le mormonisme.

La religion, qui compterait aujourd’hui quelque 14 millions de fidèles, a été fondée aux États-Unis au XIXème  siècle par Joseph Smith Jr (1805-1844). Tout jeune, hésitant entre les diverses sectes religieuses auxquelles il pourrait adhérer, il est visité par des anges qui lui expliquent qu’il ne doit adhérer à aucune, car il lui sera donné d’en fonder une meilleure que toutes les autres. On lui indique ensuite un endroit où creuser pour trouver des tablettes d’or sur lesquelles il recopie Le Livre des Mormons; ces tablettes sont écrites dans une langue qui lui est inconnue, mais qu’il traduit patiemment, aidé en cela par deux pierres magiques. Notons qu’il ne montre ces tablettes à personne, car les voir causerait immédiatement la mort du curieux. Sa traduction faite, Smith fonde l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours (The Church of Jesus Christ of Latter-day Saints).

Je vous passe le détails des événements et pérégrinations qui suivent, mais en 1844, Smith ambitionne de devenir Président et de faire des États-Unis une théocratie. Un journal ayant critiqué ses positions, il en fait démolir les presses. Arrêté pour atteinte à la liberté d’expression, polygamie et destruction de  biens, il est emprisonné.  Mais une foule en colère s’empare de lui et le tue: ce qui le transforme illico en martyr. La religion est dès lors sérieusement lancée, même si l’imposture est si manifeste qu’on en est gêné et que les croyances promues sont si … encore une fois mettez le mot que vous voulez ici.

Parmi ces croyances de la secte, et donc de M. Romney, il y a eu un racisme contre les Noirs qui a bien peu d’équivalents dans sa virulence: en fait, il faudra attendre 1965 pour que l’Église admette que les Noirs sont des être humains après tout. Le regretté Christopher Hitchens rappelait d’ailleurs que les Noirs ne pouvaient, jusqu’en 1979 et donc  alors qu’un adulte nommé Mitt Romney en faisait partie, occuper de fonction au sein de l’Église.

Les Mormons croient en outre à ce qu’ils appellent le Blood Atonement: selon cette doctrine, des péchés sont si graves, assure-t-on, que le sang du pécheur doit être versé pour que son âme soit sauvée. On l’a notamment invoquée dans les cas de le meurtre, d’adultère, contre le fait d’invoquer en vain le nom de Dieu et dans le cas d’un mariage avec une personne Noire. La promotion de la peine capitale trouve là un de ses ‘arguments’.

Enfin, les Mormons adhèrent à la doctrine du Mariage céleste (Celestial Marriage) qui conçoit le mariage comme une polygamie patriarcale. Le successeur de Smith, un certain Brigham Young, avait, paraît-il, 56 femmes. Les Mormons cèderont aux pressions en 1890 et déclareront abandonner la pratique. Mais dans les faits, des dizaines de milliers de mariages polygames existent toujours. Et qui sait?  Des Mormons monogames ne désespèrent peut-être pas, comme ces fous d’Allah qui espèrent leurs je ne sais plus combien de vierges au ciel, de marier plusieurs femmes dans l’au-delà.

Et on voudrait refuser le statut de religion (chrétienne) à ça? Quelle manifeste injustice!

M. Romney doit se défaire de sa timidité et parler religion avec ses adversaires; il doit se rappeler que certaines de leurs croyances  sont de la même valeur et ont la même plausibilité que les siennes.

Lui jette-t-on au visage les pierres magiques de la traduction? Il répondra en rappelant le serpent qui parle.

Lui reproche-t-on les tables d’or? Il rappellera celles de Moïse.

Et ainsi de suite…

Comme ce serait joli et instructif, de tels débats.