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Rire avec Yvon Deschamps

On pourrait croire que pour les austères philosophes, l’humour n’est pas un sujet … sérieux. Et tout le monde se souvient que Le Nom de la Rose avait précisément, au coeur de son intrigue, un exemplaire d’un ouvrage réputé perdu d’Aristote consacré à l’humour et dont on voulait empêcher la lecture, l’ouvrage en question se portant à la défense du rire et de l’humour.

Pourtant les philosophes — ou du moins certains d’entre eux, il ne faut pas exagérer — se sont bel et bien penché avec intérêt, si ce n’est avec assiduité, sur l’humour. Ils ont ainsi développé diverses idées sur les raisons pour lesquelles nous rions et sur la signification de l’humour dans l’expérience humaine. Vaste sujet, sur lequel je ne m’attarderai pas ici.

Mais récemment, et cela ne s’était encore jamais vu, deux philosophes américains ont publié un  (puis un autre…) ouvrage de vulgarisation de la philosophie entièrement composé … de blagues!

Le livre, appelé Platon et son ornithorynque entrent dans un bar, se divise en sections classiques et selon les diverses branches de la philosophie (logique, éthique, philosophie politique, etc.): mais tous les concepts epxosés sont présentés à travers une blague. Intéressant dispositif pédagogique et mnémotechnique s’il en est!

C’est à cet ouvrage que je pensais en lisant Le petit livre bleu, d’Yvon Deschmaps.

Le livre se compose d’extraits de monologues et de bons mots de Deschamps, ventilés en sujets. Mais bon nombre d’entre ces extraits auraient pu aussi bien être présentés selon les concepts ou thèses philosophiques qu’ils illustrent — on les aurait alors appelé des aphorismes, pour faire plus sérieux!

Des exemples? Voici de quoi lancer bien des débats en philosophie de la religion (sur la cohérence des attributs de Dieu et sur le problème du mal, notamment):

  •  Un dimanche, j’tais à messe, accoté su ma amère, j’somnolais un peu, le prêtre faisait son sermon… «Y’en a qui vont payer au jugement dernier, quand Dieu reviendra parmi nous» J’me réveille, j’dis à mon père: «Y va r’venir de you? Y m’semble qu’y est partout!» Le prêtre continue, y dit: «N’oubliez pas que seulement les justes seront assis à sa droite». J’y dis: «Pouvez-vous nous espliquer à gang d’épais icitte, où est-ce que c’est la droite de partout?»
  • J’ai vu que les acteurs américains, C’EST DIEU qui les aide à jouer comme du monde pis à gagner des Oscars; les chanteurs, c’est toujours Dieu qui les aide; les présidents des États-Unis … Ah ben tabarnouche! Bush, là, c’est Dieu qui l’a aidé à gagner sa guerre contre l’Irak! Y en ont tué 200 000 pis y en ont enterré 10 000 vivants dans le désert. Y AVAIENT-TU VRAIMENT BESOIN DU BON DIEU?

Et puis, Deschamps est incomparable dans sa fonction de commentateur et de critique social par le biais de l’humour. Voyez:

  • [Parlant de notre époque depuis le XXV e siècle]: Si vous voulez vous rappeler la synthèse de cette civilisation, c’est simple: c’était des gens qui ne pensaient pas mais qui, par contre, étaient prêtes à tuer toutes ceuses qui pensaient pas comme eux autres.
  • Parce que fabriquer des runnings ici pourrait coûter jusqu’à 22 dollars la paire! Et il faudrait les vendre 89 dollars! Tandis que Nike ou Reebok peut fabriquer dans l’Tiers-Monde pour 2 dollars 50 et, comme ça, nous les vendre à 129! Attends, ça marche pas mon affaire… NON, NON, mais ça c’est à cause d’la publicité. Parce qu’il faut qu’y l’fassent savoir qu’y fabriquent ça pas cher. Pis, ça , ça coûte cher!

 

Court, punché et inattendu, le mot d’esprit pourrait bien être le rire caractéristique du philosophe. (Un exemple? Voici un bon mot qu’on dit authentique. Un linguiste donne une conférence dans laquelle il explique qu’une double négation, dans toutes les langues, revient à une affirmation (il n’est pas inintelligent peut en effet revenir à: il est intelligent); mais, ajoute le conférencier , dans aucune langue  une double affirmation ne signifie une négation. Un philosophe, assis au premier rang, lâche aors: «Ouais, oauis…).

Deschamps excelle à cet exercice. Voyez:

 

  • Eille, moé. quand j’étais p’tit gars, on avait des voleurs professionnels; astheure, on a des professionnels voleurs! C’t’un gros changement!
  • Énarvez-vous pas, y pas de danger! Plusse y va y avoir d’ogives nucléaires, moins y a de danger de guerre. Ah! Ah! Ah! T’sais, c’est comme si je disais au monde: Voyons, l’monde, énarvez-vous pas! Plusse y va y avoir de bière, moins on va être saouls!

En lisant ce petit livre, je me suis rappelé à quel point Deschamps me manque dans le paysage québécois. Il doit en avoir des choses à dire le monsieur, sur, disons, le PQ, Harper, les élections américaines et mille autres sujets…