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Une laïcité inachevée en éducation

[Ce texte sera publié dans le prochain numéro de la revue À Bâbord. Cette revue existe depuis 11 ans et j’y signe une chronique éducation dans chaque numéro. Un excellente manière de contribuer à sa survie est de s’abonner — on peut le faire sur son site.]

 

[Ajout: texte légèrement modifié pour nuancer la position des opposants à la charte. Merci à mes amis FB]

Depuis des mois déjà, le Québec discute âprement de laïcité.

Il y a pourtant eu, dans tous ces échanges, un singulier point aveugle — ou du moins un sujet dont il n’a que bien peu été question. Ce thème, qu’on s’est bien gardé d’affronter directement, est celui du financement public des écoles privées confessionnelles.

 

Que des partisans de la « charte de valeurs québécoises», laquelle se proclame, au moins en partie, être une charte de la laïcité, ne soulèvent pas cet enjeu en demandant que l’on cesse de subventionner des écoles religieuses me semble très singulier.

Quant aux adversaires de la charte, cette situation devrait être pour elles et eux une occasion en or de relever l’incohérence de la position gouvernementale : or,  s’il est vrai que certains adversaires de la charte n’ont pas manqué de relever l’incohérence du projet de loi 60 en regard de cet enjeu, d’autres, eux non plus, n’ont pas soulevé le sujet, peut-être parce qu’il leur semble si explosif qu’ils ont préféré ne pas recourir à cet argument.

Mais la question se pose, certes particulièrement dans le contexte de l’éventuelle adoption d’une charte de la laïcité, mais aussi sans cette charte: devrions-nous, ou non, collectivement subventionner des écoles privées confessionnelles?

Avant de préciser les raisons pour lesquelles je conclus que la réponse à cette question est «Non» et qu’il faudrait donc cesser d’octroyer ces subventions, il sera utile de dresser un rapide portrait de la situation de ces écoles confessionnelles qui sont subventionnées au Québec.

La situation actuelle

 On le sait : depuis la Loi 95 adoptée en 2005, nos écoles, après un long et difficile combat, sont désormais laïques. Mais tout le monde sait aussi par ailleurs qu’il y a encore des écoles privées religieuses, certaines le proclamant même, sans retenue ou dissimulation. Mais combien y en a-t-il exactement? Il n’est pas facile de le savoir, et ceci pour deux grandes raisons.

 

La première est que le MELS ne tient pas de données statistiques sur le statut confessionnel des établissements d’enseignement privés, puisque, si j’ai bien compris, en vertu de la loi, il n’en existe pas.

La deuxième raison est que ce qui fait le caractère religieux ou non d’une école peut être défini de diverses manières. Une école peut-elle/ doit-elle être considérée comme religieuse si elle offre des cours de pastorale après l’école? Si on y donne durant les heures de classe des cours de religion? Si son curriculum est tout imprégné de croyances religieuses? Si elle ne dispense pas en partie, en totalité le programme officiel? Autre chose encore?

 

Le données que je présente ici sont tirées d’un rapport intitulé : «Le fait religieux dans les écoles privées du Québec», publié par le Comité sur les affaire religieuses en juin 2012[1], mais surtout des recherches vaillamment menées par Michel Lincourt, qui s’est buté à de nombreux obstacles et fins de non recevoir dans ses démarches. Ses résultats, qui ont été publiées en 2012, et ses réflexions m’ont été très utiles pour rédiger ce texte et je le remercie[2].

Mettons de côté le cas des CPEs subventionnés et confessionnels — il y en a — et restons en au cas des écoles primaires et secondaires subventionnées.

Il y aurait au Québec, sur 174 écoles primaires et secondaires subventionnées, 80 écoles religieuses se partageant $106 millions par an. Ces écoles sont catholiques ou protestantes, en majorité; d’autres sont, notamment, juives (16) ou musulmanes (4). On en trouvera la liste sur le site de Michel Lincourt déjà cité, qui note aussi que le degré de religiosité des écoles est variable, allant d’écoles proposant une «spiritualité discrète» à des écoles strictement religieuses qui, par exemple, quand elles exposent leur programme et leurs visées pédagogiques, affirment « enseigner des programmes locaux de langue arabe, de morale et de religion musulmane . . . » ou que « le salut de l’humanité perdue et pécheresse ne s’obtient que par les vertus de la mort sanglante et expiatoire du Seigneur Jésus-Christ ».

Ceci posé, la question que je veux aborder est de savoir si ce subventionnement est acceptable. Il me semble évident que la réponse est non, que la «charte des valeurs québécoises» soit ou non adoptée.

Argumentaire

 La première raison pour laquelle on ne devrait pas financer ces écoles est qu’elles ont l’obligation, comme toute personne ou institution, de respecter la loi selon laquelle notre système scolaire est non confessionnel. Dès lors qu’elles ne le font pas, cette raison, à elle seule, devrait être décisive.

Si cela ne suffit pas — mais comment cela pourrait-il ne pas suffire ? — il faut ajouter l’obligation, pour les institutions d’enseignement, d’appliquer le programme : or, certaines de ces écoles ne l’appliquent pas, ne serait-ce qu’en ne dispensant pas le cours Éthique et culture religieuse.

 

De plus, nos écoles étant laïques, ont le souci de ne pas endoctriner les enfants, ce que font manifestement nombre de ces écoles, et de leur offrir un avenir ouvert, notamment en les mettant en contact avec des croyances, positions, valeurs, autres que celle de leur milieu familial et de pouvoir, par là, construire un lien politique les unissant aux autres membres de leur société.

Enfin, financer ces écoles, c’est, une fois de plus, accorder aux religions un traitement préférentiel qu’on n’accorderait pas s’il était demandé pour un autre motif. Et le financement public des écoles confessionnelles n’est pas le seul traitement préférentiel injustement accordé aux religions. Car l’aide financière accordée par l’État aux religions comprend, comme le rappelle Francis Vailles, des «exemptions d’impôts aux bâtiments religieux, crédits d’impôt sur les dons aux organismes religieux, exemptions de douanes sur certains produits religieux, déductions d’impôts sur le logement des religieux, etc.» Il y en coûterait selon lui « plus de 100 millions de dollars par année pour le gouvernement du Québec et les municipalités[3]

 Encadré :

 Quelques exemples mis à jour par Michel Lincourt

  • L’Académie Ibn Sina, qui se présente comme une institution « islamique chiite ».
  • L’Assemblée chrétienne de Granby, qui est définie par le Ministère de l’Éducation comme une école élémentaire attachée « à une église protestante évangélique ».
  • L’Association islamique des projets charitables, qui affiche qu’elle « propage un enseignement islamique pour les musulmans et les non-musulmans ».
  • L’Académie Beth Esther, qui se définit comme un établissement scolaire juif « à caractère religieux orthodoxe ».
  • L’Église-École Académie chrétienne Cedar, dont le Ministère de l’Éducation dit qu’elle est en fait « une église protestante évangélique ».
  • L’École Chrétienne Emmanuel Christian School, qui, sur son site, explique ceci :  « In a caring, Christ-centered environment, we equip students from Christian families to make a difference in the world by providing . . . an environment and Bible-based teaching that encourages our students to apply God’s truth in all areas of their lives, [and]opportunities to be the hands and feet of Jesus”.
  • L’École Dar Al-Iman, qui écrit sur son site que sa vision est « d’enseigner des programmes locaux de langue arabe, de morale et de religion musulmane . . . ».
  • L’École Augustin-Roscelli, qui met sur son site que sa mission est, entre autres, « le développement spirituel des élèves est assuré par l’enseignement religieux catholique dispensé par les titulaires et enrichi par la présence des religieuses ainsi que la visite régulière de deux prêtres ».
  • L’Académie culturelle de Laval, dont le ministère nous informe qu’elle est une corporation qui offre « des services scolaires au préscolaire et à l’élémentaire et, sous d’autres noms, des services de garde, la Garderie l’Oasis Bout’chou, la Garderie Éducative La Tendresse, et l’École Culturelle An Nour . . . pour l’enseignement du Coran . . . ».
  • Enfin, mentionnons l’École le Savoir, associée à l’Association musulmane du Canada.  Au printemps 2011, le site web de cette école informe les parents de ses élèves qu’il se tiendra, le vendredi 15 avril, en après-midi, une activité parascolaire intitulée Célébration du Hijab : au programme, la Prière du vendredi, une lecture du Coran, des anasheed (chants religieux), une projection et des témoignages de sœurs.

 


[1] Il est accessible à :

[http://www.ledevoir.com/documents/pdf/fait_religieux.pdf]

[2]  «Écoles religieuses», document accessible à :

[http://www.michellincourt.com/2012/09/ecoles-religieuses/]

[3] «Les écoles privées ne sont aps toutes laïques», La Presse, 26 septembre 2013.