Arrêt sur image Fantasia: la triste histoire de Weng Weng
Fantasia 2014

Arrêt sur image Fantasia: la triste histoire de Weng Weng

Un cinéphile et réalisateur australien part à la recherche du plus petit agent secret de l’histoire du cinéma.  

Le cinéma de série B, C ou D a cette tendance à inspirer une certaine obsession chez ses admirateurs enthousiastes que l’industrie cinématographique plus polie ne créé pas si souvent. Certains films comme Troll 2 ou The Room sont de tels objets de curiosité qu’ils inspirent certains protagonistes à fouiller dans le passé pour comprendre comment un tel accident ait pu se produire. C’est que le film est une entreprise lourde et longue: son achèvement stipule que le cinéaste a baigné dans une certaine folie suffisamment longtemps pour compléter une œuvre et ce, avec toute une équipe technique de réalisation, jeu, montage et distribution autour de lui.

Dans le cas de Troll 2 et The Room, ce sont des acteurs du film qui sont retournés dans le passé pour comprendre ce moment tragiquement fatidique d’une carrière désormais absurde. Ce n’est pas le cas pour Weng Weng, comme on peut le voir dans le documentaire The Search for Weng Weng, présenté dans le cadre du Festival Fantasia.

Le réalisateur australien Andrew Leavold, en découvrant l’acteur de 3 pieds, a développé une obsession pour le personnage et a décidé de voyager jusqu’aux Philippines pour comprendre ce phénomène cinématographique qui avait pris d’assaut une certaine partie de l’Asie pendant près d’une décennie avant de sombrer dans un oubli quasi-total, si ce n’est de brèves apparitions dans des soirées cinéma, enfouies entre autres bizarreries du septième art.

Les amateurs de soirées de cinéma du style Douteux.org ou Total Crap, à Montréal comme ailleurs dans le monde, ont inévitablement vu des clips de ce petit Philippin qui servait de mini-James Bond dans des films d’action relativement inadéquats des années 60 et 70. La première rencontre avec ce petit agent secret armé qui tire des mitraillettes à des ennemis s’écroulant de manière mélodramatique, ou qui séduit étrangement des femmes dénudées et stoïques, inspire toujours un questionnement émerveillé. Weng Weng reste inoubliable, même enterré dans un torrent d’étrangeté cinématographique.

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Pourtant, quand on fait pause, quand on approfondit le sujet, on tombe sur quelque chose de beaucoup plus morbide que le narcissisme naïf et déconnecté de Tommy Wiseau ou le mépris culturel du couple derrière Troll 2. Weng Weng, de son vrai nom Ernesto Dela Cruz, a connu un mépris condescendant et joyeux de ses producteurs tout le long de sa carrière. Nombre d’intervenants parlent de l’acteur avec une nostalgie ludique, comme si on parlait d’un chat, d’un clown ou d’un jouet qu’on a fini par ranger et perdre à la longue.

En gros, ses producteurs se sont enrichis avec des films grâce au cachet considérable que le phénomène inspirait chez un public condescendant tandis que Weng Weng vivait dans la solitude et dans des conditions de travail relativement honteuses. La quête pour comprendre l’existence cinématographique du personnage révèle rapidement un contexte de propagande étatiste voulant divertir le public pendant la loi martiale. Ils riaient des aventures improbables d’un homme qu’ils voyaient comme un porte-bonheur ou comme un symbole de la possible émancipation philippine : si Weng Weng peut être un agent secret, tout le monde peut réussir. C’était, littéralement, du nivellement vers le bas.

Il y a une certaine ironie délicieuse dans le fait que, lorsqu’un festival de cinéma fut organisé, aucun des films pompeux commandés et commandités par l’État n’a été acheté par des diffuseurs ou des producteurs internatoniaux, mis à part les films de Weng Weng, que la population des Philippines n’avaient jamais pris au sérieux.

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Mais le succès d’Ernesto Dela Cruz n’a pas contribué à son épanouissement social, professionnel ou amoureux. Tandis qu’il vieillissait dans l’ombre, ses cascades maladroites et ses combats loufoques ont continué de faire rire les spectateurs à travers le monde, jusqu’à ce qu’un public plus moderne n’en prenne que les extraits les plus sommaires pour les inclure dans des montages hilares qu’on regarde collectivement dans des messes de la médiocrité.

Il n’y a aucun problème avec ça. Autant ériger en idoles des martyrs du septième art plutôt que les icônes manufacturées d’une industrie redondante. Mais tant qu’à rire ensemble d’une petite idole, autant connaître la genèse pathétique qui a transformé le petit Weng Weng en géant du cinéma obscur.

 

The Search for Weng Weng sera diffusé le 29 juillet et le 4 août au Théâtre J.A De Sève