À voir aux RVCQ – Loto-Québec: La morale de l'argent
Rendez-vous du cinéma québécois 2015

À voir aux RVCQ – Loto-Québec: La morale de l’argent

Se questionne-t-on assez sur la nature éthique d’une vache à lait étatique se nourrissant en partie sur une population marginalisée?

Dans les premières séquences de ce documentaire rigoureux et fascinant de Francine Pelletier (MonsieurBaise Majesté et La femme qui ne se voyait plus aller.), un autobus amène des sexagénaires québécois vers le Casino de Montréal. Un animateur de foule lit l’horoscope dans l’autobus mouvant. Rapidement, quelque chose cloche. Toutes les prédictions de cet horoscope indiquent, avec un phrasé original et différent, des gains financiers à envisager dans un avenir rapproché. Chaque formule représente une manipulation habile qui nourrit l’espoir de victoire financière spontanée, une prédisposition psychologique optimale avant de rentrer dans un casino, il faut l’avouer.

Le film présente le lien historique étroit qu’entretient la société québécoise avec le jeu et, par la suite, avec Loto-Québec, qui jouit d’un budget incroyable pour la promotion de ses activités. C’est un lien étroit qui a été fragilisé dans les dernières décennies mais qui reste encore fort, surtout auprès de populations dans des situations économiques précaires. Le nœud du dilemme moral se trouve dans cette évidence documentée: bien que perpétuellement rentable, l’État a-t-il le droit moral de redistribuer des richesses à partir des pertes financières d’individus qui souffrent souvent de dépendance au jeu?

Si le film semble didactique, présentant une esthétique digne d’un reportage formel de Radio-Canada dans les années 90, cela représente étonnamment une force. Car la situation est réellement alarmante, et bien que les conséquences néfastes des dépendances au jeu soient déjà documentées, ce film propose un débat public rarement mené au sujet de cette vache à lait étatique.

On est de plus en plus habitués aux grandes envolées lyriques de commentateurs exacerbés qui font fi de toute forme de nuance et qui proposent qu’on se débarrasse de nos intuitions gouvernementales, qu’elles nous fournissent en alcool ou en information. Le calme posé de ce documentaire lui permet de multiplier ses sources en discutant autant avec des représentants du pouvoir comme Raymond Bachand qu’avec des militants locaux et des chercheurs engagés. Comme on l’oublie souvent, le dialogue enrichit le discours, tandis que le monologue l’appauvrit.

Bref, c’est grâce à un regard posé mais critique, documenté mais pas trop dirigé, qu’on a droit à un questionnement sincère et pertinent sur la place de l’État dans l’industrie du jeu du hasard, une industrie qui évolue et dont les frontières ne cessent d’être brouillées avec l’arrivée du jeu en ligne. Après tant d’années et de crises, après ces revenus lancinants face à des compétiteurs privés qu’on ne peut stopper, l’État a-t-il encore sa place dans ce domaine-là? Loto-Québec a-t-il fait son temps?

Un film à voir vendredi le 20 février à 20h15 en première mondiale à la BAnQ, question d’entretenir un débat qui fait encore trop peu de vagues.