Fête nationale: Victor-Lévy Beaulieu réagit à «la sécurité à tout prix»
Société

Fête nationale: Victor-Lévy Beaulieu réagit à «la sécurité à tout prix»

Le grand spectacle de la Fête nationale sur les Plaines d’Abraham se tenait mardi soir dernier, devant une foule animée et assez sage, si comparée à celles de certaines éditions particulièrement festives.

Certaines nouvelles restrictions de sécurité ont fait réagir certains, tandis que d’autres blâmaient la température ou encore, la programmation, pour ces festivités plus tranquilles.

Toujours est-il que certaines personnalités, dont l’écrivain Victor-Lévy Beaulieu, ont réagi verbalement ou par écrit, à ce manque d’enthousiasme causé par une surveillance policière accrue.

Nous vous reproduisons ici, intégralement, la vive réaction de VLB, effectuée via sa page Facebook:

«À PROPOS DE NOTRE FÊTE NATIONALE

Ça manquait de monde sur les plaine d’Abraham hier soir, et je ne crois pas que le mauvais temps qui a soufflé sur le Québec jusqu’en fin d’après-midi y ait joué un grand rôle. J’y vois plutôt le résultat de la politique telle que concoctée par le maire Régis Labeaume « au nom de la sécurité à tout prix ». Des clôtures entourant les lieux, des barrières qu’on ne peut pas traverser sans être fouillés, des policiers aussi nombreux que quand il s’agit d’une manifestation revendicatrice: on entre sur les plaines d’Abraham comme dans un camp concentrationnaire: sous haute surveillance, on devient ainsi les spectateurs d’une fête à laquelle on ne participe pas vraiment – on est là, immobiles, à écouter un spectacle comme jadis on se trouvait à l’église, englués dans la passivité. 

Dans une tel environnement, on célèbre quoi et qui donc? Pas grand-chose à mon avis, et surtout pas notre fierté d’être Québécoises et Québécois. Or, c’est cela même le nœud d’une fête nationale, et cette fierté-là ne peut pas s’exprimer seulement par la chanson dite populaire et sans la participation active de celles et de ceux auxquels on interdit la chose. Chez les Grecs, on l’avait compris: durant les Bacchanales, la ville entière appartenait au peuple – et c’est le peuple lui-même qui portait la parole, le chant et la danse, des quartiers qu’on qualifierait aujourd’hui de bourgeois jusqu’aux faubourgs à M’lasse. La police n’intervenait pas, même quand il y avait débordement – et ils étaient nombreux, ces débordements-là. C’étaient ceux de la liberté et, comme on devrait savoir, il n’y a pas de véritable liberté sans que celle-ci ne soit « sexuée ». Dans les bacchanales grecques, les femmes et les hommes se partageaient également le même pouvoir, celui de jouir de cette liberté sexuée. Défoulement collectif? Oui, mais pas seulement ça: ce grand plaisir qu’on vivait enfin, toutes classes sociales confondues, d’être le peuple grec, d’être la nation grecque et, ne serait-ce qu’une journée, d’être fiers d’en faire partie, peu importe ce que, tout le reste de l’année, on devait vivre, plus souvent qu’autrement dans la dureté du travail et la pauvreté.

On doit aux bacchanales grecques l’invention de la bière d’épeautre: on disait que lors des Bacchanales, « elle faisait sortir du corps et de l’âme tout le mauvais qui s’y trouvait accumulé » et que ce « mauvais » étant enfin noyé dans la bière, il devenait possible de se régénérer – de renaître en tant que femme et en tant qu’homme.

On mit fin aux Bacchanales quand le pouvoir politique voulut les encadrer et le fit. Les Régis Labeaume de la Grèce en vinrent même à les interdire: un peuple qui célèbre dans la liberté sexuée peut devenir dangereux pour ceux qui prétendent le diriger. Ainsi met-on des clôtures tout autour de lui, ainsi lui interdit-on la bière et le haschisch, ainsi les policiers lourdement armés exercent-ils une surveillance de tous les instants.Et ainsi
voit-on comme j’ai vu hier soir à la télévision un peuple si inhibé qu’il ne s’exhibe plus en rien, car il est devenu le prisonnier d’un système pour lequel la célébration n’est qu’un show télévisuel à regarder assis dans un fauteuil en mangeant des crottes fromagées et des chips bar-b-q!

Ah, fête nationale! Je vous souhaite à toutes et à tous d’en profiter vraiment aujourd’hui où que vous soyez, dans cette liberté sexuée sans laquelle toute célébration n’est qu’une fausse grand’messe – du genre de celle que le pouvoir politique et religieux d’autrefois nous forçait à assister passivement « comme ces bons enfants que nous étions et devions rester »!

VLB»