BloguesLe cheval de Troie

Murdochville sur le respirateur artificiel

Murdochville, village fantôme situé à 40 kilomètres, au nord de la côte, épuisé par sa mono-industrie, vit depuis une dizaine d’années sur le respirateur artificiel. La chute du prix du cuivre aura convaincu le big boss de Noranda de fermer la mine à ciel ouvert, dans le but d’aller forer, à moindre coût, en Amérique du Sud. En 2002, 300 employés furent licenciés, et la Noranda quitta Murdochville avec en poche, une subvention de 80 millions venant du gouvernement du Québec, des contribuables, destinée à la rénovation des bâtiments de la mine. 80 millions qui serviront à l’entreprise pour ses installations dans le Sud. Une dinde à Noël avec ça ? Dans les belles années de Murdochville, l’on comptait 5000 âmes, aujourd’hui il en reste moins de 800. Les gens ont la mine basse à Murdoch. Le théâtre n’existe plus, tout comme les anciennes salles de danse, plusieurs bars ont fermé, sur les trois garages il n’en reste plus qu’un, rarement ouvert, l’école du village recoupe les trois anciennes écoles de la place. Pire encore, cette année, le salon de quilles n’a même pas ouvert. Il vente à écorner les bœufs, il neige depuis notre arrivée, et il fait « frette » dans la contrée des frères Miller. Pourquoi diable suis-je à Murdochville ? Tout ceci est de la faute de ma copine, qui tenait à faire un photo-reportage sur les anciens mineurs. Nous sommes arrivés ici depuis quatre jours et l’on a de très bons hôtes. Guillaume, Éloïse et le petit Imrick nous hébergent chez eux, à l’auberge Chic-Chac, dans un ancien presbytère.

 

À 580 mètres d’altitude, Murdochville est l’un des très rares villages québécois à être juché si haut au-dessus du niveau de la mer et ça, les habitants du village en sont très fiers. Tous vous le rappelleront au passage. La fermeture de la mine à ciel ouvert en 2002 a créé tout un émoi dans le village. Les habitants l’ont encore sur le cœur, mais la plaie se refermera un jour. Le capital est malléable, tout comme le cuivre, et malheureusement, l’humain aussi.

 

2002 c’est aussi l’année du fameux référendum sur la fermeture du village. Quel fut le résultat ? 434 en faveur de la fermeture et 238 en faveur du maintien du village. Les années ont passé et le village est toujours ouvert, mais il aurait dû fermer pour ces 68% d’habitants en 2002. Le constat semble le même encore aujourd’hui, et cela, nous l’avons découvert grâce à notre guide, Jean-Pierre, qui nous a donné la chance de rencontrer plusieurs anciens travailleurs de la mine. Je dois toutefois spécifier que Jean-Pierre, fils d’un mineur, ambulancier et patrouilleur de ski au mont Miller, qui s’occupe bénévolement du terrain de golf avec Georges l’été, ne quittera jamais Murdochville, car il l’aime son patelin et il en est fier. Sur les dizaines de personnes que nous avons rencontrées, je vous raconterai l’histoire d’Adrienne Leclerc, la mère de Jean-Pierre. Une vraie mine d’or Adrienne.

 

Adrienne habite une petite maison, un bâtiment F comme il l’appelait jadis, en bas de la «côte». À sa fondation en 1953, c’était les foremans et les boss qui habitaient en haut de la «côte». En entrant dans sa maison, Adrienne nous montre un plateau commémoratif que la compagnie minière avait donné à son mari, Félix, pour souligner la succession de mois sans accident à la mine. Adrienne et Félix ont déménagé de Marsoui pour aller à Murdochville en 1956. Si en 1956, le rêve d’une vie meilleure les habitait, il en sera tout autre l’année d’après. C’est après le congédiement du mineur et leader syndical Théo Gagné, que les mineurs, en soutien à Théo, allaient entrer en grève. La grève dura neuf longs mois, et c’est tout le village qui a écopé. Adrienne était enceinte quand les fier-à-bras sont arrivés par autobus pour instaurer leur loi dans la ville et primordialement, pour travailler à la place des mineurs en grève. À ce moment, à Murdoch, c’était la Copper Mines qui détenait le monopole de la violence légitime, et les mineurs, en grève illégale, allaient en payer le prix. La police était du bord des scabs. Devant l’intimidation des scabs, Adrienne est bien heureuse que son mari se soit tenu debout, il a résisté, comme bien d’autres. Elle ne voulait surtout pas que ses enfants voient leur père comme un scab. Félix, pendant ce temps, faisait signer des cartes en Gaspésie pour faire naître l’Union. Avec cette gang de bandits en ville, les gars en grève étaient pas mal stressés. Jean-Pierre me raconte que la peur en aurait même tué un. Les scabs, eux, ne démontraient pas trop leur peur en public, mais paraîtrait-il qu’ils dormaient avec la hache au pied du lit.

 

La famille se préparait à quitter quand la grève a pris fin le 9 septembre 1957. L’Union venait de voir le jour et Félix reçut un numéro d’employé dans les chiffres 90. Comme le raconte Jean-Pierre, sourire aux lèvres, tous ceux qui avaient des numéros en bas de 90 c’était les scabs. À partir de ce moment, Félix a pu reprendre son boulot, perceur de trous dans les bas fonds. Oui, il s’occupait de percer le roc pour y insérer la dynamite. Quand ça sautait sous terre, tout tremblait en l’air. Jean-Pierre me met au défi de trouver un solage qui n’est pas craqué à Murdochville. Félix a connu la grève de 1957, celle de 1968, de 1978 et celle de 1994. Il a aussi perdu un de ses bons camarades en 1987 lorsqu’il y a eu le feu sous terre. Il a pris sa retraite en 1997 et il est décédé en 2000. Comme le dit si bien Adrienne, avec la voix tremblante, il est sorti d’en dessous de la terre pour retourner en dessous de la terre. Félix a eu droit à une retraite de trois ans. Pire encore, il est décédé d’une pneumo silicose. Pire que pire, la Copper Mines n’a jamais voulu reconnaître la raison de son décès, un classique. Les médecins, de connivence, diront plutôt que sa mort fut attribuable à la cigarette. Le cœur se tord devant la bêtise humaine.

 

À Murdoch, il ne faut pas parler trop fort du sort de la ville. La suspicion règne. Certains croient toujours qu’il reste de bons gisements de cuivre dans la mine, qu’il y a la possibilité de faire vivre à nouveau la ville, notamment avec la venue d’une compagnie qui pourrait engager une centaine de personnes, alors que pour d’autres, tout est perdu et rien ne se créera à Murdoch. La ville fermera-t-elle comme celle de Gagnon ? Si en ce moment le soleil semble bon à Malartic, devrais-je plutôt appeler la ville Osisko, le sera-t-il vraiment d’ici une trentaine d’années ? Quel est le nom déjà de ce penseur à la longue barbe qui a écrit : Celui qui ne connaît pas l’histoire est condamné à la revivre ? Sacré Karl.