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Marc Séguin : L’art du paradoxe

La semaine dernière, en entrevue à l’émission Les Francs-tireurs, l’artiste Marc Séguin s’est livré au critique d’art Richard Martineau. Une surprenante entrevue qui m’a malheureusement fait déchanter du regard artistique que prône Séguin. Pour celles et ceux qui ont déjà vu les toiles de cet artiste, principalement composées avec de l’huile et du fusain, vous conviendrez que ses œuvres sont très impressionnantes. Esthétiquement riches, les toiles de Séguin nous font réfléchir tant sur le devenir humain, sur les dérives sociales, que sur les beautés incongrues. C’est brillant son truc, ça sent la réflexion et la critique. Or, j’ai été surpris de constater que Séguin n’échappe aucunement aux vices de la marchandisation de l’art. De ce système que tant d’artistes épousent. De cette culture qui n’opère plus de distance et qui n’agit donc plus comme un corps social séparé. En quelque sorte, pour emprunter à Freitag, le système artistique « s’intègre directement, pratiquement, idéologiquement, dans son mode spécifique de fonctionnement et de reproduction [1]». Revenons-en à Séguin. Comme il le dit lui-même lors de l’entrevue, le produit qu’il crée est un « objet de luxe » qui s’adresse, dans un rapport marchand, à « l’élite ». Ave Séguin ! Puis, il ajoute qu’il  « n’a pas le choix de suivre les lois du marché », qu’il est bien heureux lorsqu’un philistin, pour emprunter à Arendt, lui « ajoute un zéro de plus sur son chèque de paye ». Martineau le comprend.

 

Jusqu’ici certains diront; bon le gars aime bien le fric et l’art, il est où le problème s’il peint des trucs intéressants ? J’ai vendu un vélo cet été pour moins de cent dollars, alors que ce type de vélo usagé ce vendait pratiquement le double dans les petites annonces. C’est mon problème si je ne suis pas les lois/règles du marché ? Peut-être. C’est une question d’éthique et de cohérence.

 

 Or, et ce n’est pas moi qui le dit, Séguin critique lors de la même entrevue, le rapport marchand à l’art. Pour lui, 90% des œuvres qui sont présentées dans les Biennales sont tout simplement « merdiques ». À ses yeux, c’est du « junk-food » qui sert à graisser la patte des capitalistes du monde de l’art. Si je comprends bien, il critique le rouage du système de marchandisation de l’art ? Alors, pourquoi créer un objet de luxe pour l’élite Monsieur Séguin ? Comme vous dites « 1-2-3 capitalisme » !? Il en ajoute en disant que 50% des œuvres d’art contemporain sont « merdiques ».

 

Depuis Platon, plusieurs penseurs ont tenté de mettre le doigt, pour emprunter le ton de Séguin, sur ce qui est merdique et ce qui ne l’est pas dans le domaine de la culture. Est-ce que telle œuvre ou telle œuvre est intéressante, voire pertinente ? Sans tomber dans un relativisme absolu ; à quoi bon répondre a cela ? Comme l’écrit James Compton : « In the case of beauty, for example, we need to ask what is considered beautiful, by whom and in whose interests? [2]».

 

 Séguin continue en critiquant les œuvres d’art qui nécessitent un panneau didactique sous prétexte que le destinataire de l’œuvre devrait tout piger du premier coup. Le public ne doit pas réfléchir ? J’ai mal à mon art quand j’entends des trucs comme ça. Pour ce qui est du manque de solidarité entre les artistes québécois du fait que ceux-ci devraient s’entraider plutôt que de se diviser ; pourquoi votre espace de création est-il situé à Brooklyn Monsieur Séguin ? Pourquoi avoir quitté le Québec si vous jugez que les artistes d’ici doivent se soutenir et qu’ils doivent se rassembler ?

J’en passe, allez voir l’entrevue.

Et vous, qu’en pensez-vous? Que pensez-vous de la marchandisation de l’art?


[1] Michel Freitag, L’oubli de la société. Pour une théorie critique de la postmodernité, Coll. De Y. Bonny, Québec, PUL et Rennes, p.169.

[2] James Compton, « The Nature of Spectacle », The Integrated New Spectacle : A Political Economy of Cultural Performance, New York, Peter Lang, 2004, p.33