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De l’opéra avant-gardiste au Québec? On peut toujours rêver.

Une scène de Powder her face, de Thomas Adès, dans une mise en scène de Jay Scheib, au Capitole de Québec
Une scène de Powder her face, de Thomas Adès, dans une mise en scène de Jay Scheib, au Capitole de Québec

De passage à Québec en début de semaine, j’ai attrapé la dernière représentation de Powder her face, un opéra de chambre de Thomas Adès, mis en scène par Jay Scheib (New York), spectacle qui clôturait le festival d’opéra de Québec.

On dit que le directeur artistique Grégoire Legendre a fait preuve d’audace en programmant cet opéra qui n’a musicalement rien à voir avec les œuvres classiques, bien faites, auxquelles notre scène opératique donne généralement toute la place. La partition de Powder her face est en effet déroutante. Grinçante, mais surtout follement libre, indomptable, impossible à catégoriser ou à comparer à des structures musicales connues. Ici s’arrêtent mes compétences (quasi inexistantes) en musique, je ne pourrai rien vous dire de plus à ce sujet. C’est aussi un opéra frivole et sexy, qui raconte les aventures d’une nymphomane notoire, Margaret Campell Duchesse d’Argyll, et qui donne lieu à quelques scènes érotiques et à de nombreux dévoilements de corps nus. C’est aussi, dans cette mise en scène créée pour le New York City Opera, un travail de multiperspectivisme très fécond, qui tire profit de la vidéo pour faire miroiter différents regards sur la vie de la duchesse.

Or, du point de vue de la mise en scène, ce n’est pas non plus un spectacle révolutionnaire, ni même particulièrement avant-gardiste. L’utilisation de la vidéo y est intelligente, mais rien de bien neuf ou de particulièrement inventif. Une production contemporaine de bonne tenue, qui propose une lecture fertile et signifiante de cette œuvre-phare en s’appuyant sur un pertinent travail d’images. Rien à voir avec les réelles avancées de la mise en scène que permet l’opéra quand ses praticiens adoptent véritablement une posture de recherche.

Partout dans le monde, à cause des immenses possibilités dramatiques de son répertoire et à cause des budgets énormes qui lui sont généralement consentis, l’opéra est un formidable territoire d’exploration scénique que les plus grands metteurs en scène (entendre ici les têtes pensantes, les chercheurs infatigables) investissent de toute leur fougue et de tout leur talent.

Mais les programmateurs de Montréal et Québec, en saison régulière, sont loin de cette attitude d’ouverture aux nouvelles formes et proposent trop souvent des opéras grandiloquents mais convenus, banals, sans surprises et, surtout, des mises en scène trop souvent simplistes qui ne proposent pas de relectures, ne sont pas portés par une réelle vision artistique et se contentent de reproduire l’action de manière linéaire. Et ce, pour toutes sortes de raisons, qui vont du manque de moyens financiers au non-renouvèlement des publics, lesquels, selon la croyance populaire, ne désireraient pas que les choses changent.

Or, il me semble qu’on est en train de rater le bateau. Je ne m’explique pas pourquoi notre scène boude tous ces opéras créés par des metteurs en scène ayant le goût du risque. Pas étonnant que le public ne rajeunisse pas.

Voyez, par exemple, le travail de l’Italien Giorgio Barbero Corsetti, qui revisite des opéras classiques et contemporains avec une inventivité folle, dans un dispositif scénique qui utilise le «green screen» et les techniques d’incrustation vidéo pour faire apparaître ses acteurs, filmés en direct, dans différents décors miniatures ensuite projetés sur grand écran. Le résultat est ludique, décalé et, tout en proposant un nouveau regard sur des intrigues bien connues, crée des effets humoristiques puissants.

 

Simon McBurney, metteur en scène anglais dont le travail est parfois comparé à celui de Robert Lepage, a récemment mis en scène La flûte enchantée en utilisant un dispositif sonore cinématographique qui accompagne la musique d’une trame sonore parallèle inspirée par l’action et l’environnement qui entoure les personnages : une sorte de paysage sonore qui installe des atmosphères par-dessus la musique et les voix. C’est fort intéressant.

 

Dans sa version de La flûte enchantée, William Kentridge ose non seulement une lecture politique de l’œuvre, l’utilisant pour réfléchir aux cicatrices du colonialisme en Afrique du Sud, mais il la campe dans son esthétique bigarrée et imagée, où interviennent, sur écran, ses dessins, croquis et illustrations en mouvement.

 

Parfois, l’audace réside dans le choix du répertoire. Mozart, c’est bien, mais des compositeurs et des auteurs contemporains écrivent aussi des opéras. Comme Martin Crimp, auteur dramatique britannique bien connu pour une écriture mordante, ciselée et fragmentaire, qui a travaillé à l’opéra Written on skin avec le compositeur George Benjamin. La mise en scène est de Katie Mitchell, une autre metteure en scène qui, généralement, travaille la vidéo et les emprunts aux codes cinématographiques avec une grande intelligence (bien que ça ne semble pas être le cas dans cette mise en scène dénuée de travail vidéographique).

 

On peut toujours rêver de voir advantage de productions de ce genre à l’Opéra de Montréal ou de Québec. J’en fais le souhait.