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Guide de survie en cas de fin du monde

Après avoir échoué à convaincre leurs concitoyens de protéger l’environnement et les ressources naturelles, plusieurs écologistes ont plus ou moins jeté l’éponge et en sont venus à évoquer la mort imminente et inévitable de la civilisation industrielle. The Long Emergency, publié par James Howard Kunstler en 2005, est une sorte de classique du genre. Partant du postulat que l’énergie fossile en viendra à manquer et que les substituts sont insatisfaisants, l’ouvrage décrit le déclin à venir de notre monde basé sur la mobilité et la consommation et l’émergence d’une société plus austère, basée sur l’agriculture et l’économie locale.

Si ce genre de littérature est presque devenu un genre en soi, The Five Stages of Collapse, de Dmitry Orlov (2013) en brise les règles en envisageant le problème à hauteur d’homme. Alors que Kunstler adopte une approche extérieure et à long terme pour parler de l’effondrement de notre civilisation, Orlov s’intéresse à la manière dont les individus se sont adaptés, dans un passé pas si lointain, à divers cas d’effondrement partiel ou localisé.

Orlov, né citoyen soviétique, a connu l’effondrement de l’URSS, les années de pénurie qui l’ont précédé et les années d’anarchie qui l’ont suivi, avant que Vladimir Poutine parvienne à rétablir un ordre relatif – et peut-être pas si favorable au citoyen ordinaire, en fin de compte. Orlov préfère de loin une anarchie créatrice de nouvelles solidarités à la dérive autoritaire, qui impose à l’individu un carcan inadapté, qui réduit ses chances de survie.

Car pour Orlov, passé une certaine limite, le système peut se disloquer très vite. Ce sont les « cinq étapes de l’effondrement » qu’évoque le titre de l’ouvrage. Le premier signe que quelque chose s’est détraqué est l’effondrement financier. Du jour au lendemain, le système bancaire s’écroule, l’argent n’a plus de valeur et votre fonds de retraite vient de disparaître. Heureusement, les alternatives existent : les métaux précieux, le troc d’objets de valeur, la mise en place de monnaies locales…

Un malheur n’arrivant jamais seul, l’effondrement du système financier mène à celui du commerce. À cette deuxième étape du déclin de notre civilisation, l’absence de moyens de paiement sûrs paralyse les longues chaînes d’approvisionnement auxquelles nous sommes habitués. Les biens restent dans les lieux lointains où ils sont produits et ne viennent plus garnir les tablettes de votre magasin préféré. Orlov explique comment une économie du don – basée sur les cadeaux réciproques – peut se mettre en place pour faire face à un tel contexte.

On comprend qu’un État sans argent et sans commerce n’a plus de revenus non plus. Il est vite condamné à disparaître ou à ne plus jouer qu’un rôle symbolique. C’est la troisième étape, celle de l’effondrement politique. À cette étape, la loi et l’ordre ne sont plus guère qu’un souvenir, tout comme l’État-providence. Aux sceptiques, Orlov rappelle qu’en ce moment même, les États déchus sont de plus en plus nombreux dans le monde. Pensons à la Somalie, à l’Afghanistan, à Haïti. Et qui peut dire où en sera la Grèce dans quelques années?

C’est une étape critique. Se sentant menacé, l’État peut imposer sa loi par la force, devenir autoritaire, se lancer dans des aventures militaires et fonctionner sur la base de réquisitions. On peut, par exemple, penser au communisme de guerre de Lénine, qui a entraîné des souffrances inouïes. Orlov observe de plus que de tels régimes sont également trop rigides pour mener des réformes complexes, comme de passer d’un mode d’organisation industriel et centralisé à un système agraire et décentralisé.

La quatrième étape est celle de l’effondrement social. Il n’existe plus de vie civique organisée et la plupart des institutions sont mortes. Celles qui restent peuvent cependant commencer à jouer un rôle de remplacement. Orlov évoque l’Église, qui a joué un rôle pacificateur après l’effondrement de l’Empire romain et qui pourrait fort bien reprendre ce rôle à l’avenir. Orlov mentionne aussi, mais sans paraître y croire beaucoup, une cinquième étape, l’effondrement culturel, celle où même les liens familiaux se disloquent et où l’homme, privé de tout repère moral, devient un loup pour l’homme.

Orlov insiste sur le fait qu’en temps de crise, l’unité de survie de base est la famille étendue, dont les membres peuvent compter les uns sur les autres. À partir de cette base, il est possible de créer des solidarités plus étendues, à l’échelle d’un pâté de maisons ou d’un village, par exemple. Car l’être humain est une créature sociale et peu importe ce que nous réserve l’avenir, c’est en groupe que nous le traverserons. Les individus qui excellent à organiser les choses au niveau communautaire ont un bel avenir devant eux.

The Five Stages of Collapse brille aussi par ses nombreux exemples inusités : les tribus afghanes, qui ont su tenir trois empires en échec sans même avoir d’État; les Gitans, qui survivent depuis des siècles en marge de la société, grâce à leur solidarité et leur sens du secret; ou la mafia russe, qui a servi de noyau à un nouveau pouvoir après la chute de l’URSS. Loin d’être déprimant, l’ouvrage montre que d’autres modes de vie sont envisageables – et possiblement aussi valorisants que la société industrielle.

Orlov, Dmitry. The Five Stages of Collapse, New Society Publishers, 2013.