Michel Kelly-Gagnon et Jean-François Minardi, de l’Institut économique de Montréal, ont publié aujourd’hui, dans La Presse, un billet qui accuse ceux qui veulent affranchir le Québec de sa dépendance au pétrole de « diaboliser cette ressource ». Les auteurs tentent en fait de détourner le débat et fondant leur argumentation sur des faits mal documentés et à courte vue, que je souhaite rectifier ici.
Les auteurs commencent en rappelant que la plupart de nos biens de consommation dépendent du pétrole pour leur production et leur approvisionnement en énergie. Ceci justifie, à leurs yeux, que le Québec accentue sa consommation de pétrole issu des sables bitumineux, en ajoutant que « la vitalité du secteur pétrochimique dépend pour beaucoup d’un approvisionnement stable en hydrocarbures bon marché ».
Or, ces approvisionnements ne seront pas réellement meilleur marché. Tout le but des nouveaux pipe-lines actuellement proposés consiste à régler les problèmes de livraison qui minent le prix payé aux producteurs de l’ouest. Autrement dit, une fois les pipe-lines construits ou leur cours inversé, le pétrole de l’ouest se vendra au même prix que n’importe quel autre pétrole de qualité comparable.
D’autre part, j’aimerais que l’IÉDM définisse ce qu’elle entend par « approvisionnement stable ». Comme le rappelle ma chronique du 21 juillet, près de 65 % du pétrole conventionnel qui existait sur Terre est déjà brûlé. Le pétrole coûte six fois plus cher maintenant qu’il y a 15 ans, ce qui reflète cette rareté. La recherche de sources alternatives (schistes, bitume…) n’offre qu’une solution temporaire et partielle, à un prix prohibitif. Les autres combustibles fossiles s’épuisent également à un rythme alarmant.
D’ici 30 ans, la production mondiale d’or noir aura chuté de moitié et nous devrons apprendre à faire avec moins, que cela nous plaise ou non. L’idée consistant à réduire notre dépendance au pétrole, loin d’être une quelconque « diabolisation » est donc une solution sensée au problème, tant sur le plan économique qu’environnemental. Le processus ne sera pas facile, mais en nous y mettant dès maintenant, nous pouvons espérer gagner une longueur d’avance sur nos concurrents.
L’IÉDM fait également des affirmations sans fondement à propos du raffinage. Les entreprises pétrochimiques qui ont fermé en Amérique du Nord depuis 20 ans ne l’ont pas été en raison de la concurrence étrangère, mais en raison du déplacement de la demande. Les raffineries indiennes sont énormes, mais elles ne sont pas « plus efficaces » que celles d’ici : elles produisent la même quantité d’essence par baril de brut. Elles sont grandes parce qu’elles répondent à l’énorme demande de toutes les entreprises d’ici délocalisées là-bas.
Les raffineries d’ici n’ont rien à craindre de la concurrence indienne. Partout dans le monde, le pétrole est raffiné le plus près possible de ses marchés, pour deux raisons. D’abord, parce que le pétrole raffiné est beaucoup plus inflammable que le brut, ce qui en fait une matière dangereuse que l’on manipule le moins possible. Et ensuite, parce que le pétrole raffiné occupe plus de volume que le brut, ce qui rend son transport plus coûteux.
Pour paraphraser l’IÉDM, le pétrole comble 39 % des besoins énergétiques du Québec. Nous sommes fortement dépendants d’un produit de plus en plus dispendieux et à l’avenir incertain. Les discussions entourant la politique énergétique devraient porter davantage sur les façons de s’affranchir du pétrole que sur le mirage d’un pétrole abondant à tout jamais.
Merci de répondre aux imbécilités de l’IÉDM!
🙂
Vous écrivez: « La recherche de sources alternatives [de pétrole] (schistes, bitume…) n’offre qu’une solution temporaire et partielle, à un prix prohibitif. Attention. Le cours mondial actuel du pétrole permet aux exploitants de faire d’énormes profits, même quand il s’agit de pétrole non conventionnel. A preuve, la merde bitumineuse de l’Alberta et le pétrole de schiste du Dakota Nord. Ce qui est vraiment problématique dans ces deux cas, en sus de l’empreinte catbone bien sûr, c’est le faible rendement sur Le quantum d’énergie investi
Les cours actuels permettent d’énormes profits sur les réserves conventionnelles, mais pas forcément sur le bitume et sur les schistes, dont le coût d’exploitation est extrêmement élevé. Plusieurs firmes auraient en fait perdu de l’argent au Dakota. On peut tout au plus dire que les cours élevés ont permis l’exploitation de ces ressources. Mais si le bitume est abondant, les schistes vraiment productifs sont rares et s’épuisent très rapidement. Il paraît peu probable qu’ils puissent faire une différence très importante et très durable sur la production globale.
Surtout que l’exploitation des schistes, avec les technologies actuelles, est très risquée pour l’environnement. Une contamination de la nappe phréatique est très possible et impossible à prévoir avec les moyens géologiques modernes. Et serait très coûteuse (scrapper l’agriculture et vous perdez plus d’emplois que les promesses les plus folles de l’industrie qui calcule créer 100 fois plus d’emploi par puits ici que dans l’état de New York).
Et terriblement inefficace. Dans le cas du gaz, c’est 10% à 30% du gaz qui peut être exploité, le reste (70% à 90%) restera dans la roche fracturée.
Dans le cas du pétrole, les représentants de Petrolia parlent (au sujet d’Anticosti) de…1% à 5% des réserves potentielles (je dis potentielles parce qu’on ignore la quantité réelle et combien est réellement exploitable).
Les représentants de Pétrolia racontent d’ailleurs n’importe quoi. Exploiter 1% des réserves potentielles, ça se fait à Bakken, qui est le meilleur gisement du genre au monde. Mais la moyenne, ailleurs, tourne plutôt autour de 0,5 %. Je vais très bientôt revenir sur le dossier Anticosti, qui consiste essentiellement à vendre du rêve aux Québécois.