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Ste-Mélanie blues

Je viens de terminer la lecture d’un excellent thriller qui s’appelle LE DERNIER DES LAPONS, ce qui, incidemment n’est pas un bon titre pour un roman policier, dans la mesure où si le livre remporte du succès, c’est difficile d’écrire la suite. La preuve : Fenimore Cooper n’a jamais écrit « Le Mohican qui venait après le dernier des Mohicans ».

Je plaisante. C’est vraiment excellent, et comme tous les thrillers ethnologiques à la mode en ce moment, ça nous apprend des tas de choses pendant que l’inspecteur cherche le coupable. Personnellement, jusqu’à aujourd’hui, ma connaissance de la Laponie était plutôt mince. J’avais bien connu –très bien connu- une finnoise lors de mon premier world tour de l’Europe mais c’est tout et déjà pas mal. Saviez-vous d’ailleurs qu’une finnoise, c’est comme une chinoise à qui il manque les deux dents d’en avant? Je plaisante encore. Toujours est-il que j’ai appris des tas de choses sur la Laponie. Ainsi, un des personnages du livre- un berger- a l’habitude de castrer les rennes avec ses dents, ce qui arrive peu souvent, convenons-en, dans les aventures de Miss Marple.

Dernier détail au sujet de ce livre : l’auteur s’appelle Olivier Truc. Je ne sais pas si c’est son vrai nom, mais c’est bien trouvé. À chaque fois que quelqu’un débarque chez un libraire et qu’il demande « Avez-vous le livre de Chose-là, vous savez, Truc? », ben il risque de faire une vente.

Cette lecture de gens sauvages dans des contrées sauvages m’a amené tout naturellement à penser au film DELIVERANCE, et à l’excellent roman de James Dickey dont il est tiré. Si vous n’avez pas vu ce film avec Burt Reynolds (un des 2 seuls films de Burt Reynolds avec BOOGIE NIGHTS qui mérite d’être vu et revu), courez l’acheter, le louer, le downloader ou le Netflixer.
Pour ceux et celles qui ne l’auraient donc pas vu, ça raconte les mésaventures de quelques citadins aux prises avec les habitants d’un des coins les plus sauvages et reculés des États-Unis. Son visionnement changera à jamais votre perception du son mélodieux du banjo. Les personnages les plus primitifs du film n’auraient pas pu castrer de rennes à coups de dents, vu qu’ils n’en ont pas, mais quand vient le temps d’initier quelqu’un aux rites d’accouplements des cochons, ils n’ont pas leurs pareils…

Ces réflexions sur DELIVERANCE m’ont à leur tour tout naturellement amené à repenser à une mésaventure traumatisante qui m’est arrivé il y a longtemps dans un rang lointain de la petite municipalité de Ste-Mélanie dans la région de Lanaudière. Je ne sais de quoi ça a l’air de nos jours, mais dans les années 70, c’était un peu beaucoup le refuge de tout ce qui ressemblait à un hippie au Québec. J’étais loin d’en être un, mais il y avait certaines de leurs mœurs qui m’allaient parfaitement.

J’avais à l’époque une amie –en fait, je l’ai encore, mais de manière bien différente- avec qui j’avais une relation à la fois affectueuse et élastique, comme le voulait le temps. Elle habitait avec une copine dans une petite maison éloignée au fond d’un rang. Il m’arrivait de temps à autre d’y aller passer un week-end sympathique. Pour les besoins du récit et pour protéger son anonymat, je l’appelerai Nicole. J’insiste sur l’anonymat; pas tellement parce qu’elle est très connue, mais plutôt parce que Nicole a connu beaucoup de personnes. Elle était adorable et l’est encore. Dans sa générosité affective, Nicole n’avait qu’un défaut : elle donnait trop facilement ses coordonnées personnelles à des amis de passage. J’allais m’en rendre compte cette fin de semaine-là…

Donc je suis chez Nicole et son amie, au bout d’un rang de Ste-Mélanie. C’est samedi soir, il est presque 10 heures, et nous allons nous coucher, comme l’ont fait les gens de la seule petite maison que l’on devine à proximité. Soudain, une voiture pénètre dans un grand bruit de freins dans le stationnement de chez Nicole. Je n’ai pas de voiture; faire du pouce est malheureusement une des choses du lifestyle hippie auxquelles je m’adonne.

On frappe à la porte et on entre sans attendre de réponse. Trois gars bien baraqués nous saluent joyeusement. Le premier –je l’ai appris plus tard- est un marin avec qui Nicole a eu une aventure d’un soir et à qui elle a donné son adresse au cas où il serait mal pris lorsqu’il débarquerait un jour de son bateau. Et il débarque à Ste-Mélanie, endroit pourtant éloigné du port de Montréal. Le deuxième, également marin, transporte une caisse de 24; quant au troisième, je ne sais pas s’il est marin, mais en tout cas il tangue. Pour sa part, il tient négligemment d’une main un sac brun- le trio nous expliquera plus tard que le sac contient des bijoux qu’ils ont volés en s’en venant dans des maisons du coin- et de l’autre…un revolver!

Avec un grand sourire, ils nous expliquent qu’ils sont venus veiller. L’amie de Nicole est déjà verte de peur tandis que moi, l’homme –temporaire- de la maison je fais de mon mieux pour comme si c’était parfaitement normal qu’on décide de venir veiller à Ste-Mélanie un samedi soir en débarquant au port de Montréal. Nicole, qui n’a vraiment pas froid aux yeux, essaie de gérer tant bien que mal la situation.

Les gars s’installent, ouvrent des bières( je ne bois pas de bière personnellement, mais curieusement ce soir –là, j’en accepte une ) et sortent de leurs poches des comprimés de toutes les couleurs, cassent en deux et mettent dans leur bière avant de caler le tout. Après une ou deux bières, le marin de Nicole regarde autour de la table et fait sa projection personnelle du déroulement du reste de la soirée. Il nous regarde ,les filles et moi, puis regardent ses deux chums en leur disant : (AVERTISSEMENT : le prochain passage pourrait choquer les yeux sensibles) « On est trois, ils sont trois; ça m’a ben l’air qu’il y en a un qui va se mettre dans le brun à soir!

JE suis le brun. Je regarde discrètement par la fenêtre pour estimer quelles sont mes chances de courir le cent mètres jusque chez le seul voisin avant d’être rattrapé. Elles sont nulles. Pendant que les 3 invités du samedi soir cassent des pilules, et calent des bières, l ‘amie de Nicole tremble visiblement et que je fais surtout de la partie de mon corps cachée sous la table. Nicole, pour sa part, continue d’assurer. A un moment donné, la médication artisanale finit par faire effet et subitement mon possible fiancé tombe raide comme une barre par terre.

On l’étend sur un sofa et il est décidé que ses 2 comparses vont rester à coucher. D’ailleurs il est l’heure d’aller dormir. Miraculeusement, l’amie de Nicole monte dans une chambre après avoir refusé les avances d’un des types, pendant que je monte avec Nicole. Les 2 autres lascars s’installent sur 2 sofas et s’endorment immédiatement.

Vous devinerez que je n’ai rien fait de très érotique cette nuit-là; je n’ai pas dormi non plus. Quand nous sommes descendus le lendemain matin, les 3 marins avaient disparu. Pour fêter notre soulagement, Nicole, son amie et moi sommes allés passer la journée à la cabane à sucre. Quand nous sommes revenus, les 3 gars étaient repassés et avaient volé tout ce qui n’était pas vissé dans la maison de Nicole.