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Ma semaine avec Joni Mitchell

MA SEMAINE  AVEC JONI MITCHELL

 

On parle beaucoup  en ce moment de INSIDE LLEWYN DAVIS, le plus récent film des frères Coen. De l’aveu même de ces deux brillants réalisateurs, le scénario du film est grosso modo inspiré des mémoires de Dave Van Ronk, un légendaire folk singer newyorkais des années soixante. Dans le cas de Dave Van Ronk  , comme de beaucoup d’autres artistes,  le terme « légendaire »  veut paradoxalement dire « dont on ne se souvient pas ».

 

Pour ma part, je me souviens de Van Ronk pour 2 raisons. D’abord, je l’ai bel et vu vivant et en spectacle. Il est en effet venu à Montréal, il y a longtemps- 1968, pour être un peu plus précis- jouer à un autre truc légendaire (le terme « légendaire » dans ce cas, signifiant « qui n’existe plus »), le  café New Penelope, un endroit où je n’ai non pas gaspillé ma jeunesse, mais l’ai plutôt enrichi. C’était un café- café dans la mesure où on n’y servait pas d’alcool- où certains des artistes les plus extraordinaires de l’époque sont venus jouer. J’en ai déjà un peu parlé dans un autre texte où je racontais comment je m’étais retrouvé à partager un lit avec Frank Zappa. Je vous invite à le consulter ailleurs sur ce site.

Mais pour le moment, j’aimerais élaborer un peu au sujet du Penelope. L’endroit était situé sur Sherbrooke, un peu à l’ouest de l’Avenue du Parc, là où aux dernières nouvelles est lui-même situé un de ces hôtels de chaîne qui semblent changer d’appellation à tous les 3 ans. Tout-à-côté du Penelope, il y avait un autre endroit également légendaire- donc disparu- que les plus farouches indépendantistes d’entre nous appelaient « La Hutte Suisse » mais qui dans les faits s’appelait THE SWISS HUT. On aura compris que le lieu était décoré dans le style hutte suisse, la légendaire sobriété suisse en moins. En 1968, l’endroit servait de refuge aux derniers beatniks de Montréal, aux nouveaux hippies de Montréal qui les  éliminaient et remplaçaient dans la chaîne évolutive du cool .  On y retrouvait également   une poignée de farouches indépendantistes  qui commandaient  une grosse bière en français aux serveurs unilingues,  qui sans le savoir étaient en train d’en transformer 2 ou 3 en futurs felquistes. Comme l’endroit , lui, avait heureusement son permis d’alcool, il arrivait fréquemment qu’entre deux sets musicaux au Penelope, la clientèle de cet endroit se réfugie dans l’autre, ainsi que  les musiciens eux-mêmes…

 

Or donc, le Penelope.  Je n’oublierai jamais la première fois où avec 2 ou 3 de mes compagnons de collège, j’y suis entré un peu par hasard. Ce soir-là, le groupe californien The Mothers of Invention y entamait une résidence de 2 semaines. Pour ceux et celles qui ne connaîtraient pas, les « Mothers » – comme nous, les cools, les appelions- étaient le groupe fondé et surtout très dirigé par le légendaire- oui, il est mort- Frank Zappa. Ceux et celles qui ne connaitraient pas Zappa peuvent tout de suite changer de page parce que ça va aller en s’aggravant. La première chose (et quand j’écris « chose ». je pèse mes mots) que j’ai vue en entrant dans l’étroite salle, c’est Jimmy Carl Black, le batteur semi-autochtone des Mothers, accoté négligemment sur le cadre de porte. Jimmy –en langage cool- portait une paire de pantalons éléphant à stries verticales multicolores éblouissantes. Je me suis tout de suite dit, pour parodier Dorothy dans « Le magicien d’Oz » : « Toto, nous ne sommes plus au Kansas ».

 

J’ai alors pris une décision qui allait avoir une importance cruciale sur non seulement mes prochains six mois, mais également sur mes choix musicaux à vie. Il faut savoir 2 choses. Primo, je prévoyais partir à l’été 68 pour mon premier voyage à vie en Europe, et ce pour 2 mois. Conséquemment, j’économisais péniblement un max d’argent Secundo, le Penelope offrait une carte de membre annuel pour trente dollars, qui permettait d’entrer GRATUITEMENT tous les soirs. Faisant ni en ni deux, j’ai décidé que pour les prochains six mois, mon seul loisir serait le New Penelope .Et je l’ai jamais regretté. J’ai d’ailleurs commencé de manière draconienne en allant voir Zappa et ses Mothers 15 soirs de suite.

 

Et ça ne s’est pas arrêté là; j’ai pu voir au long de ces 6 mois des bluesmen géniaux comme Muddy Waters, des rockers pas encore célèbres comme le J.Geils Band; des blues-rockers déjà célèbres comme le Paul Butterfield Blues Band. J’ai vu aussi Louise Forestier qui je le jure m’a regardé dans les yeux avec croyais-je beaucoup de sous-entendus- elle ne m’en a jamais reparlé- et j’ai vu Joni Mitchell sept soirs de suite. C’est d’ailleurs à cette époque que je l’ai entendue chanter pour la première fois son célèbre BOTH SIDES NOW.J’aimerais bien dire que comme por Frank Zappa, cela a entraîné que je me retrouve dans le même lit qu’elle, mais non. Michel Rivard me jalouse beaucoup pour cette semaine. Pas grave : moi, je le jalouse tout autant d’avoir écrit une superbe chanson au sujet de celle-ci après l’avoir vue en spectacle à peine un seul soir.

 

Quelques semaines plus tard, j’ai entendu, toujours au Penelope, la même chanson être chantée de façon touchante et maladroite, surtout dans les hautes notes, par un certain Dave Van Rock, qui aimait bien, semble-t-il, être le premier à faire découvrir les tounes de nouveaux artistes qu’il venait lui-même de découvrir. Ce n’était pas une grande semaine, ni je crois une grande période pour l’artiste. Il avait  décidé sur le tard d’imiter les Bob Dylan de ce monde –qui pourtant avaient eux-mêmes fait leurs débuts en l’imitant- et de se lancer dans une sorte de folk-rock. Il était accompagné sur scène par son nouveau groupe, les Hudson Dusters. J’ai passé bien des années par la suite à retrouver leur unique disque dans les bacs de microsillons à  un dollar.

 

Le temps faisant son œuvre, mon seul souvenir de son spectacle demeure cette touchante et vacillante interprétation de la chanson de Joni. À l’entracte, je me suis retrouvé à la table de Van Ronk, à la Hutte Suisse. Je lui ai même payé une bière qu’il ne m’a jamais remboursée. Ça devait faire partie de son côté légendaire. J’ai hâte de voir le film.