BloguesLe blogue de Pierre-Luc Brisson

Du Général au banquier: le fantasme politique de Mathieu Bock-Côté

Le débat entourant l’empire médiatique de Pierre-Karl Péladeau alimente les chroniques des journaux et les blogues depuis le week-end dernier, opposant d’une part ceux qui – et j’en suis – jugent inconcevable qu’un magnat des médias, contrôlant le principal empire de presse du Québec, puisse aspirer à exercer le pouvoir sans se départir de ses actions et ceux qui, d’autre part, voient plutôt dans ce questionnement une  manœuvre des fédéralistes afin de briser le nouveau porte-étendard de la cause souverainiste. Une défense qui, à bien égards, évite d’adresser le problème fondamental soulevé par la candidature potentielle de celui que l’on surnomme « PKP », à savoir la nécessaire indépendance qui doit exister entre le monde politique et celui des médias d’information.


Du Général au banquier

Le chroniqueur et essayiste Mathieu Bock-Côté se range dans cette catégorie, lui qui publiait ce midi un billet sur son blogue du Journal de Montréal dans lequel il affirme : « Et il est fascinant de voir comment, lorsqu’un homme que l’on croit d’exception surgit dans un système politique et est susceptible de le bouleverser, les intérêts constitués font tout pour l’abattre », en ajoutant plus loin : « D’autant que par rapport à son milieu d’appartenance, soit la grande bourgeoisie, PKP est en révolte. Il a rompu avec son milieu pour rejoindre un mouvement fondamentalement contestataire : le mouvement indépendantiste québécois. »

Le lecteur le moindrement avisé reconnaîtra dans ces quelques lignes les grands poncifs du « style » Bock-Côté. Son appel à l’homme providentiel, l’homme « d’exception » qui « bouleverse le jeu politique » et qui « fera l’histoire », est tout imprégné de ce gaullisme grandiloquent duquel il teinte la plupart de ses réflexions sur le monde politique québécois. Trop heureux de transposer au Québec ses propres fantasmes politiques tout entiers tournés vers une France mythifiée qui n’existe plus, il échoue à voir que l’objet de ses émois ne s’est pas encore illustré ni par la grandeur de son discours, ni par la profondeur de sa réflexion… Il suffit de revoir l’entrevue accordée par Pierre-Karl Péladeau sur le plateau de Gérald Fillion pour s’en convaincre. Bock-Côté espère sans doute un Chateaubriand ou un De Gaulle, il appelle de ses voeux l’auteur des Mémoires d’outre-tombe, on nous offre plutôt un « banquier », imprimeur de magazines bon marché… L’auteur a cependant raison de souligner qu’il est trop tôt pour porter un jugement final sur l’homme politique Péladeau. Soit. Mais les six premiers mois n’augurent rien de bon pour l’avenir.


Quelle rupture?

Lorsque Bock-Côté nous parle d’un homme en « rupture » d’avec son milieu, ayant rejoint un mouvement « fondamentalement contestataire », l’on aurait envie de demander au blogueur de quel homme parle-t-il ? Du leader qu’il espèrerait pour le Parti Québécois, ou de Pierre-Karl Péladeau, tel qu’il s’est révélé à la population depuis quelques années ? Un bourgeois en « rupture » supposée, qui a cependant à son actif l’un des pires bilans en terme de gestion de conflits de travail au Québec. Un bourgeois en « rupture » de ban, dont la « grandeur » politique a surtout consisté à voir une entente privée de son empire blindée par les députés de l’Assemblée nationale, dans le dossier de la construction d’un amphithéâtre, provoquant par le fait même une vague de départs au sein de la députation du PQ…

Bien plus, on aurait envie de demander à Bock-Côté de quel « mouvement fondamentalement contestataire » nous parle-t-il, alors que sa propre famille intellectuelle n’a eu de cesse ces dernières années de rejeter tout discours voulant lier le projet indépendantiste à un véritable projet de réforme sociale et environnementaliste, eux qui se plaisent plutôt à dire que l’indépendance n’est « ni à gauche, ni à droite », confirmant précisément que le projet ne va… nulle part ! Une famille intellectuelle conservatrice dont l’action, loin d’assumer la part contestataire, et je dirais même « révolutionnaire », qui doit être celle d’un mouvement voulant réaliser l’indépendance nationale d’un peuple, a plutôt renforcer dans l’esprit de plusieurs la vision « folklorique » que certains portent sur le projet indépendantiste. Plutôt que de chercher à transformer la vie des gens par la cause de l’indépendance, on s’est plus « enfarger » dans quelques hijabs qui se trouvaient sur le chemin… À qui la faute ? Enfin, cet espoir de voir émerger un « homme d’exception » est le symptôme même d’un mouvement politique malade, qui ne peut concevoir que le changement et le nouvel élan dont il a tant besoin ne puisse passer par une autre voie que celle de la recherche d’un messie, d’un leader charismatique. Ces dernières années, le mouvement souverainiste et le Parti Québécois n’a jamais su véritablement porter les espoirs de changement – j’oserais dire la contestation dont Bock-Côté parlait – portés par une partie importante de la population. Que ce soit à l’occasion du printemps étudiant de 2012 ou encore sur le dossier de l’exploitation des ressources fossiles du Québec, le Parti Québécois ne s’est pas montré à la hauteur des espoirs qui lui ont pourtant ouvert les portes du pouvoir en 2013.

Les fantasmes politiques de quelques-uns ne peuvent justifier les atteintes possibles portées à notre édifice démocratique, même par celui que l’on espère voir réaliser la souveraineté. Plutôt que de chercher à se lancer dans les bras de la première vedette venue du monde des affaires, qui ne nous a pas encore prouvé qu’elle avait l’étoffe des leaders admirés par Bock-Côté, les militants souverainistes auraient tout intérêt à revenir à l’essence même de leur projet et à en assumer la part «révolutionnaire » et profondément transformatrice. Les leaders passent, mais les idées restent et une certaine génération d’étudiants et d’étudiantes nous a démontré qu’elles pouvaient être, lorsque portées par des centaines de milliers de personnes, bien plus puissantes que tous les discours éphémères des politiciens de passage…