BloguesLe blogue de Pierre-Luc Brisson

Quand Bock-Côté se porte à la défense de Ti-Mé

Ti-Mé s’est trouvé aujourd’hui un défenseur inattendu en la personne de Mathieu Bock-Côté, qui s’est fendu ce matin d’un billet au titre quelque peu provocateur et au niveau de langage fort improbable sous le plume de cet auteur: « Le sport préféré des «branchés»: fesser sur Claude Meunier ». Reprochant aux critiques de télévision d’avoir planifié d’avance l’enterrement du tout nouveau « Ti-Mé show », Bock-Côté en profite pour faire le procès de ceux qu’ils qualifient d’«hypermodernes» méprisants, dont « le message est clair: tasse-toi pépère. Tu n’es plus assez jeune. Assez tendance. Assez branché. Assez à la mode. » Revêtant le chapeau de défenseur de la classe populaire, le sociologue-chroniqueur croit déceler dans les critiques récentes une sombre obsession dirigée contre Claude Meunier : « [ils] ne se contentent pas de ne pas aimer Claude Meunier: ils veulent en finir avec lui », obsession qui ne serait en fait que le reflet d’un mépris de classe encore plus grand porté par les élites contre la masse des téléspectateurs friands de ce genre de divertissement.

Or, en cédant aussi facilement à ses propres marottes (celle de la défense du « peuple » supposément méprisé par une élite intellectuelle à laquelle, de fait, il appartient lui-même !), Bock-Côté évite sciemment de s’attarder au problème soulevé par plusieurs commentateurs – et j’en suis – qui dénoncent non pas les qualités artistiques de Claude Meunier (c’est un autre débat), mais bien le choix de programmer, et à coup de millions, cette émission humoristique alors même que la société d’État procède à des coupes importantes dans ce qui constitue sa vocation première : la diffusion de l’information et la mise en valeur de la culture francophone, au Québec comme ailleurs au pays. Les bulletins d’informations régionaux sont compressés, les animateurs-phares quittent le navire et les émissions de la Première chaîne passent à la coupe ? Pas de problème, puisque nous avons désormais Claude Meunier !

Figure paradoxale que celle de Mathieu Bock-Côté qui se fait régulièrement un plaisir de vanter – et avec raison ! – les mérites d’une chaîne publique comme France culture, qui n’hésite pas à programmer des émissions entièrement consacrées à l’histoire, la littérature, la philosophie ou la spiritualité, mais qui échoue à comprendre les critiques actuellement adressées à la direction de Radio-Canada. Divertir, amuser ? Bien sûr que la télévision publique doit aussi remplir ce mandat et certaines émissions et téléséries (« Un air de famille », « Les enfants de la télé », «Les Parent »,  etc.) le font très bien. Or, ce mandat de divertir ne doit pas prendre le pas sur la mission première qui devrait être celle d’une chaîne publique : informer et cultiver la population.

Existe-t-il une émission littéraire diffusée à heure de grande écoute à la télévision de Radio-Canada ? Existe-t-il un magazine culturel ou une émission d’affaires publiques qui, à l’instar des émissions françaises prisées par Bock-Côté, laisserait la place à deux heures complètes d’analyse et de débat sur des thèmes politiques ou philosophiques actuels? Un simple coup d’œil à la programmation de la société d’État suffira à répondre à cette question. Alors du mépris, de la condescendance envers Claude Meunier ? Non. Plutôt une profonde lassitude devant les choix d’un diffuseur public qui peine à justifier sa raison d’être et qui, plutôt que d’élever notre esprit et de faire de nous des citoyens plus engagés dans la vie de la cité, se contente de nous considérer comme des récepteurs passifs de blagues sentant le réchauffé. Lorsque Radio-Canada aura définitivement cessé de parler à notre intelligence pour se consacrer entièrement à ses cotes d’écoute et à ses revenus publicitaires, il sera alors trop tard pour rire des blagues de Ti-Mé…