BloguesLe blogue de Pierre-Luc Brisson

Qu’offre encore l’Occident?

"Athènes, berceau même de la démocratie, est désormais sous la tutelle effective de Bruxelles et des ministres de l’Eurogroupe, son parlement n’étant plus libre de légiférer sur les questions touchant à son avenir économique."
« Athènes, berceau même de la démocratie, est désormais sous la tutelle effective de Bruxelles et des ministres de l’Eurogroupe, son parlement n’étant plus libre de légiférer sur les questions touchant à son avenir économique. »

 

En février dernier, le Québec apprenait, stupéfait, que six jeunes cégépiens avaient quitté le sol montréalais dans l’espoir de s’enrôler dans les troupes djihadistes combattant en Syrie. Ces dernières semaines, deux étudiants du cégep de Maisonneuve âgés de 18 et 19 ans ont été traduits devant les tribunaux, accusés d’avoir eux aussi voulu quitter le pays dans l’espoir de perpétrer des attentats à l’étranger. Au début du mois de juillet, les autorités françaises procédaient à l’arrestation de trois jeunes, âgés de 17 à 23 ans, soupçonnés de fomenter l’assassinat puis la décapitation d’un haut gradé de l’armée française. Devant tant d’exemples récents où des jeunes né(e)s qui au Québec, qui en France ou ailleurs en Occident, succombent aux discours les plus délirants propagés sur le Web par les organisations djihadistes, nous avons le devoir de nous questionner sur les raisons profondes qui poussent certains de nos jeunes concitoyens à se porter candidats au martyre. Plus fondamentalement, nous devons nous demander, d’un point de vue philosophique, ce qu’offre encore l’Occident – ou ce qu’elle échoue à transmettre – pour que des centaines de jeunes de par le monde décident de vouer leurs efforts à la destruction des valeurs qu’elle a toujours prétendu incarner.

 

L’austérité et le corporatisme étatique comme seuls projets

 

Les pays occidentaux ont été suspendus ces dernières semaines aux péripéties qui ont ponctué le drame du peuple grec, appauvri et exsangue au terme de cinq années d’austérité budgétaire, le pays ayant perdu près du quart de sa richesse intérieure et le taux de chômage avoisinant désormais les 25 % . Malgré l’élection, l’hiver dernier, d’un gouvernement d’extrême-gauche et la victoire récente d’un « non » retentissant face aux nouvelles mesures d’austérité exigées par Bruxelles, les grandes puissances européennes, liguées aux banques, ont fait plier le gouvernement d’Alexis Tsipras, ignorant souverainement l’expression de la volonté du peuple grec. La gauche européenne, plutôt que de saisir l’occasion afin d’infléchir une politique que des dizaines d’économistes de premier plan jugent suicidaire, a plutôt officié, complaisante et impuissante, au dépeçage de la souveraineté politique du peuple grec. Athènes, berceau même de la démocratie, est désormais sous la tutelle effective de Bruxelles et des ministres de l’Eurogroupe, son parlement n’étant plus libre de légiférer sur les questions touchant à son avenir économique.

Partout en Occident et ici même au Québec, l’austérité budgétaire est devenue le seul horizon dans lequel s’inscrivent les actions de nos gouvernements, qui semblent pour certains plus soucieux de l’intérêt des grandes institutions financières et de l’opinion des agences de notation, que des problèmes vécus par leurs propres citoyens. Les coupes budgétaires affectent de plein fouet les milieux de la culture et de l’éducation, certains arts ou programmes d’enseignement étant jugés peu « rentables » pour l’État, l’université devant désormais s’aligner sur les impératifs du marché et les besoins de l’entreprise privée. La littérature, le théâtre, l’histoire et la philosophie classique ne sont plus guère enseignés dans les collèges, alors qu’il s’agit pourtant des disciplines les plus à même de forger l’esprit critique des étudiants et de les aider à devenir, le moment venu, des citoyens critiques et engagés. Nous avons en somme coupé l’école de ses racines culturelles et historiques, coupé de l’héritage porté par toutes ces sociétés qui se reconnaissent dans une certaine origine occidentale commune et qui a été forgée, notamment, par la pensée politique grecque, la philosophie des Lumières et la défense des droits de l’homme. Notre système politique n’a plus de « démocratique » que le simulacre d’élections auquel nous nous livrons une fois tous les quatre ans, à grands renforts de slogans et de campagnes publicitaires creuses, alors que les mouvements citoyens de protestation sont bien souvent réprimés avant même qu’ils ne puissent prendre leur envol, au profit des grandes corporations décriées.

 

Devant le triomphe de l’austérité et du corporatisme d’État, comment se surprendre alors que des jeunes, qui peuvent subir au quotidien l’exclusion sociale – en raison de leur origine ethnique ou de leur statut économique – se tournent vers des mouvements fanatiques afin d’y trouver ce que nos sociétés n’offrent plus depuis longtemps : une philosophie commune et un idéal humain auxquels communier. C’est parce que nous avons échoué ces dernières décennies à incarner l’idéal fraternel et humaniste supposément promu par l’Occident, que certains de nos jeunes concitoyens, bien souvent nés dans les pays qu’ils veulent désormais frapper, se sont détournés de l’héritage que nous n’avons pas su transmettre et revivifier.

La réponse aux problèmes posés par l’extrémisme religieux – et par l’islamisme plus particulièrement – ne se trouve pas dans l’imposition de nouvelles mesures sécuritaires qui ne feront que restreindre encore plus les libertés individuelles – ceci quand elles ne servent pas de prétexte à la répression de mouvements sociaux plus vastes –, mais bien dans la refondation de l’école et de nos institutions démocratiques qui demeureront toujours les outils les plus efficaces pour remporter une lutte qui doit avant tout se déployer sur le terrain idéologique.

Au lendemain des attentats de Charlie Hebdo, le premier ministre français avait pour la première fois évoqué « l’apartheid » qui sévit en France dans certaines banlieues, où la pauvreté, le racisme et l’exclusion sociale font le lit de l’extrémisme. C’est précisément lorsque les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité sur lesquelles est fondée la République française – et dont se réclament nos pays – seront devenues une réalité politique concrète que nous pourrons enfin espérer voir l’intégrisme reculer. Encore faut-il désormais avoir le courage et la volonté de rejeter le corporatisme d’État et de renverser une politique qui, à bien des égards, mène l’Occident au désastre.