BloguesEn as-tu vraiment besoin ?

Lettre à mon fils

Salut Édouard,

En ce moment, tu es bien. Haut de tes six mois, tu me regardes avec ton grand sourire. Tu grandis chaque jour où tu tentes de devenir un peu plus autonome. Je ne peux pas m’empêcher de penser au monde dans lequel tu vis.

Tu vois, le Québec, il est un peu malade. En fait, il a des  symptômes, mais individuellement, ils ne sont pas assez frappants pour qu’on les traite. En ce moment, tu es aisé n’est-ce pas? Eh bien, tu vois, c’est parfois nocif le confort. Ton Québec, il a attrapé le confort. C’est un virus très difficile à traiter, il faut beaucoup d’efforts pour en guérir. Une fois qu’on en est atteint, on pense à soi en premier. Pourquoi? Le confort mène au statu quo, au refus des bouleversements, à l’allergie au changement. Et puis, il devient un standard maximal d’effort, individuel autant que collectif.

Quand tu roules à bord de ta poussette, tu vois de belles voitures, de belles maisons, des gens bien habillés avec des articles à la mode. Un jour, tu ne le sais pas encore, mais tu seras peut-être toi aussi attiré par ce genre de choses. À ce moment, tu travailleras plus fort, pour te les payer. Et puis, tu en voudras plus, pour être plus à l’aise. Tu devras donc travailler plus, pour assouvir ton désir d’en vouloir encore et encore. Puis, tu voudras plus de temps pour profiter de ces choses que tu désires. Tu travailleras davantage pour pouvoir acheter du temps libre. Un jour, tu voudras tout lâcher pour recouvrer ta liberté, mais tu ne pourras plus, tes dettes de confort seront trop grandes, tu devras payer pour ton confort consommé. Mon garçon, cette vie, je ne te la souhaite pas. Non, je ne te souhaite pas de travailler toute ta vie pour retrouver une liberté que tu avais bien avant de commencer à le faire.

Mais même si tu fais des choix éclairés, tu devras payer pour nous. Tu vois, collectivement, ma génération et les précédentes se sont contaminées au confort. Pour ce faire, nous n’avons pas lésiné sur les moyens. On a inventé un concept qu’on appelle « un acquis ». Un acquis, c’est quelque chose que l’on refuse de perdre. Plus on est en situation de confort, plus on accumule de l’acquis : on atteint alors le stade de confort chronique.

Mais voilà, l’acquis a un prix. Tu sais, il n’y a rien de plus difficile que de payer quelque chose qu’on a déjà consommé. Alors, on a commencé à emprunter pour se payer de l’acquis. Comme on voulait de plus en plus d’acquis, on a négligé certaines responsabilités intergénérationnelles pour préserver ces acquis. Depuis que ton père est né, nous ne faisons rien. Non, rien, rien qui vaille la peine d’en parler. Tu as raison, nous vivons dans le déni. Mais ton père, il n’est pas mieux que les autres, tu sais. Il fait comme tout le monde, il attend passivement dans son confort individuel. Il a de belles paroles, mais peu d’action. Il veut que le monde évolue, mais d’abord que quelqu’un d’autre s’en charge.

J’espère me guérir du confort avant d’être atteint de cécité, pour te voir, un jour, rêver que ta génération changera le monde, comme j’ai rêvé que la mienne le fasse.

Je t’aime mon fils. Encore de belles paroles me diras-tu ?