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Les « riches » et la classe moyenne

Le mois dernier, j’étais en train de manger un hot-dog sur la rue Masson. C’est le téléjournal à l’écran cathodique graisseux surplombant le comptoir à côté d’une vieille bouteille de Mouton Cadet entamée. Il y a un topo sur l’endettement du Québec et les compressions budgétaires. J’intercepte alors une phrase qui me fait saigner les oreilles :

–  Le gouvernement a juste à demander aux riches de payer plus. Ce n’est pas normal qu’un riche paye le même prix que moi pour le métro, l’électricité et les garderies.

Ça y est, je commence à faire une otite. Avant de me lancer vers la pharmacie pour guérir cette infection subite, je tente de la minimiser.

–   Excusez-moi de vous déranger, j’entendais votre conversation, c’est quoi un riche pour vous?

–   Bien, les « ceuses-là » qui font 100 000 piasses par année.

–   D’accord, et combien ça fait un travailleur moyen?

–   Bien prend « moé » par exemple, je déclare 45 000 $ par an.

–   Qu’est-ce que vous voulez dire par « je déclare »? (Ici, je joue à l’innocent, je sais, mais il n’y a pire injustice démocratique que l’évasion fiscale.)

–    Je fais un peu de noir, mais juste pour arrondir les fins de mois.

Au fil de la discussion, je me finis par comprendre que le gars (appelons-le Jean) fait 25 000 $ de travaux non déclarés par année. J’imagine que les mois sont assez circulaires dans son quartier. En arrivant à la maison, je fais le calcul suivant.

Au Québec, en déclarant 100 000 $ par année, un particulier paye 32 008 $ en impôts (32,01 %) et obtient un revenu net de 67 992 $ (somme de l’impôt provincial et de l’impôt fédéral). Jean déclare 45 000 $ par an, il partage donc 9 625 $ d’impôt (21,39 %) avec les Québécois.

Mais, si on inclut les paiements faits « en dessous de la table » (quelle position inconfortable pour échanger de l’argent n’est-ce pas? Pas surprenant que certains aient des problèmes de dos), voici le portrait :

Le « riche » : Revenus totaux 100 000 $, revenus nets 67 992 $

La classe moyenne : Revenus totaux 70 000 $, revenus nets 60 375 $

Le plus ridicule au bout du compte, c’est que le « riche » paiera 45,71 % sur son prochain dollar gagné alors que la personne de la classe « moyenne » paiera 38,37 % sur son prochain dollar gagné (déclaré évidemment).

Notre travailleur de « classe moyenne » aura donc fraudé 9 625 $ à la société québécoise pour une année seulement. Ce sont donc les autres travailleurs qui se retrouvent surtaxés pour payer la fraude d’autrui.

Imaginons la différence d’un train de vie d’un travailleur qui gagne 70 000 $ et celui de Jean  ne déclarant pas la totalité de ses revenus. Si notre travailleur cache annuellement ce 25 000 $ de revenus pendant 35 ans (avec une hypothèse d’inflation moyenne de 3 % et un taux d’actualisation de 5 %), il aura « omis » de déclarer un montant d’environ 631 000 $ en valeur d’aujourd’hui. Ce montant avant impôts représente une valeur de près de 600 voyages dans à Cuba, 30 voitures ou un château payé comptant dans Le Boisé à Pleinville. En utilisant un taux d’impôt moyen de 45%, cela représenterait la totalité des frais de scolarité annuels pour plus de 90 étudiants (après la hausse des frais de scolarité, et cela, avec un seul contribuable honnête de plus).

La démonstration précédente permet de conclure deux choses :

1)      Une personne avec un revenu supérieur à la moyenne payera plus d’impôts que la moyenne des contribuables. Ainsi, il est normal que cette même personne paye les services le même prix que les
autres puisqu’elle contribue déjà davantage à la subvention de ces mêmes services.

2)      L’évasion fiscale de la classe moyenne, bien que rarement dénoncée, représente un coût important pour la part de la société qui compense. De plus, dans une période de compressions budgétaires, c’est la personne qui déclare tous ses revenus qui devra payer la note.

L’évasion fiscale peut être perçue comme une façon de se faire justice. Par contre, cette logique est égocentrique, antidémocratique et a un effet pervers sur les finances personnelles et collectives des autres contribuables. On cible souvent sur les fonctionnaires, mais l’avantage avec un fonctionnaire, c’est
que son salaire est déclaré à 100 %.

Alors, la prochaine fois, je pense que je vais demander à Jean de payer mon hot-dog, ma bière et mon ticket de métro.

Texte antérieur sur le même sujet : http://www.cyberpresse.ca/debats/a-votre-tour/201004/07/01-4268250-histoires-devasion-fiscale.php