BloguesEn as-tu vraiment besoin ?

Jean dit quoi?

Salut Jean,

 Je t’appelle par ton petit nom et te tutoie, parce que dans le fond, je ne sais plus trop comment t’expliquer simplement les choses. Je me suis dit que si je te parlais comme si tu avais été élevé dans ma rue à Valleyfield, ce serait plus simple. Pas toujours facile d’être premier ministre, hein? Dire que tu gagnes moins que certains professeurs d’université du Québec, ironique n’est-ce pas? Je sais que tu vois souvent ton emploi comme une partie d’échec où tous les coups sont permis pour mettre l’adversaire échec et mat. Mais vois-tu mon Jean, peu importe que tu crois avoir raison ou tort, ce n’est pas l’enjeu qui devrait te préoccuper.

Sommes-nous en train d’assister à un dérangement de la paix sociale pour quelques centaines de dollars une fois les avantages fiscaux comptés? Je sais, ça peut paraître surréaliste, mais c’est ce que nous vivons. Ta stratégie de confrontation n’a pas fonctionné, malheureusement pour toi. Mais tu sais, c’était presque prévisible. Dire que personne n’a bronché quand tu as augmenté la TVQ de 1 %. Je sais, je sais, l’impact collectif était bien plus élevé que la hausse des frais de scolarité, mais que veux-tu, on n’est pas très bon avec les chiffres au Québec. D’ailleurs Jean, as-tu déjà eu un cours de finance dans ta formation d’avocat? J’aimerais être dans ta tête parfois lorsque tu te dis : « Aie,  je ne comprends rien quand le ministre des Finances parle, mais ça doit être bon, il a des bas neufs. »

Tu vois mon Jean, dans les principes de base de la gestion du conflit, il y a cinq stratégies : la compétition, la collaboration, le compromis, l’évitement et la conciliation.  Tu as choisi la compétition ou l’évitement (pas très clair en fait, ça dépend des jours), probablement la pire stratégie à adopter. Pourquoi? Parce que les deux stratégies supposent que la relation avec la partie adverse n’est pas importante. Mais voilà, les étudiants dans la rue, eh bien, ce sont les travailleurs de demain (mais aussi tes futurs électeurs… finalement, plus maintenant). Ici, je ne tente pas de dire que leurs revendications sont justifiées ou non. Je tente simplement de démontrer que tu ne peux pas les ignorer de la même façon que tu le ferais avec un député d’arrière-ban dont tu dois demander le nom à ton attaché de presse.

La situation s’est tellement envenimée, tu ne peux plus te permettre d’envoyer tes sinistres à l’abattoir (même s’ils sont beaux, dans le champ ou les deux à la fois). À partir de maintenant, tu dois être à la table des négociations. Allez, appelle Steve Flanagan, achète-toi deux ou trois cols roulés (avec le signe d’Hydro-Québec de préférence) et commence à faire de la gestion de crise. As-tu pensé à faire appel à Batman, Albator ou au Grand Schtroumpf? Quoique le Grand Schtroumpf, il semble avoir un parti pris.

Tu pourrais peut-être demander au gars d’Hérouxville de déclarer l’état d’urgence, question de faire diversion. As-tu pensé à offrir un iPad à tous les étudiants qui retourneraient en classe avant le mois de juin? Je sais, tu ne veux pas acheter les étudiants, mais tu sais, tout le monde a son prix. Tu pourrais bâtir un amphithéâtre de 400 millions de dollars à Fermont, ça créerait peut-être une seconde commotion au PQ et en plus, ça ferait des investissements dans ton « Plan Nord ». En passant, les producteurs du Bye-Bye te demanderaient d’arrêter de leur fournir du matériel, l’émission de 2012 fait déjà 36 heures juste pour le premier trimestre de l’année.

J’avoue que ça doit te faire plaisir de voir, chaque nuit, la jeunesse du Québec marcher. Oui, marcher sans relâche en arborant les couleurs du PLQ tout en faisant la promotion du programme « Participaction ».

Il y a tellement de vert, blanc et rouge à Montréal que la communauté italienne a décidé de rester neutre en affichant les trois couleurs dans le coin du Marché Jean-Talon. Après ça, on viendra dire que les immigrants ne s’intéressent pas aux enjeux de la société québécoise !

Au fait Jean, une session d’université ou de cégep, ça dure de 12 à 15 semaines. La grève dépasse les 14 semaines dans certains établissements et on parle encore de « sauver la session ». Sur quelle planète tu vis mon Jean, il est trop tard pour ça. Ce n’est plus une session qu’on doit sauver, il faut maintenant remettre les diplômes ! En fait, peu importe le scénario retenu, une session d’apprentissage doit s’échelonner sur une longue période. Tu vois Jean, un cerveau, c’est comme une tasse de thé qui infuse. L’apprentissage demande du temps et un climat de calme. Condenser la session en quelques semaines, c’est ignorer les bases mêmes du processus d’apprentissage.

Je sais que c’est difficile pour toi de nous comprendre nous les « Y ». Nous n’avons jamais mis du charbon dans la fournaise ou marché 34 miles pour se rendre à l’école le matin. Qu’est-ce que tu veux, le gouvernement abuse de nous ! Prêts et bourses, régime enregistré d’épargnes-études, crédits d’impôts, avantages fiscaux liés aux intérêts de la dette, programme d’accès aux études, régime d’encouragement à l’éducation permanente, campus régionaux, etc. Comment veux-tu qu’on s’en sorte dans une société aussi de droite et peu altruiste ?

Mais, je sais que tu te dis « il est trop tard pour reculer, sinon je vais perdre la face. » Sur le fond, tu as peut-être raison, mais tout est dans l’attitude. Un bon premier ministre devrait non seulement s’asseoir directement avec les leaders étudiants pour discuter, mais aussi se faire rassurant. Toutefois, on dirait que tu préfères jouer à « j’en ai une plus longue que la tienne » ou à « qui sera la poule mouillée. »

Jean, tu maintiendras la ligne dure jusqu’à la fin, mais au cas où tu n’aurais pas analysé la liste des perdants, elle s’allonge de jour en jour (pas besoin de te donner la liste des perdants, c’est tout le monde). Mais dans ta logique financière, peut-être que tu t’es dit que d’étirer les études d’un étudiant en histoire de l’art à l’UQAM, ça ne changeait pas grand-chose. En fait, tu te dis sûrement que ça donnera moins de chômeurs (quatre trente sous pour une piastre ?)

Dans les gagnants, il y aura les étudiants n’ayant pas fait la grève (davantage d’emplois d’été disponibles pour eux en plus de profiter des résultats de la grève). Ces étudiants, ils auront appliqué la stratégie dominante, un concept de base en économie en agissant en « free rider ». Mais l’ultime gagnant de toute cette crise, ce sera toi, mon Jean. Oui, oui, pendant trois mois, les étudiants auront fait oublier: l’évasion fiscale, la corruption, la commission Charbonneau, les pots-de-vin, les démissions, le statu quo, Tony au gros bateau,  l’autre Tony des garderies et ton fameux « Plan Nord ». Ce dernier semble ni plus ni moins une improvisation pour qu’un jour on décide de nommer un pont ou une route à ton honneur.

Honnêtement, mon Jean, je suis prêt à donner ton nom à un endroit public de Westmount quand tu veux. Que préfères-tu ? Un cul-de-sac ou un rond-point?