BloguesEn as-tu vraiment besoin ?

Les impotents

Il y a quelques jours, une amie écrit sur Facebook : « Quelqu’un connait un bon électricien pour remplacer une unité de chauffage? » On devine bien que les commentaires du type « pas besoin d’un électricien pour ça » ont fusé de toute part. Pourtant, ce réflexe, il est « courant » dans le réseau des diplômés universitaires. Convaincus de leur impotence programmée, ils sous-traitent, comme si le gène du manuel était absent de leur code génétique. Lorsqu’un mammifère en santé doute de sa capacité physique à effectuer des gestes relativement simples, il ressemble à une pâle copie d’un humain vivant ses expériences de vie dans « second life ».

Peut-on nous en vouloir? La rénovation est devenue un véritable casse-tête. Depuis l’époque de nos grands-pères, la construction s’est transformée. Mais surtout, le code du bâtiment s’est sophistiqué : manuel de garantie d’emploi pour les spécialistes de la rénovation. Quoi? Il faut maintenant installer des prises électriques avec un dispositif protégeant les enfants ? Comment ça un disjoncteur spécial à 80 $ pour un circuit électrique dédié pour les chambres à coucher? Autant de prises pour une chambre? Il faut un fil 20 ampères avec un disjoncteur différentiel de fuites à la terre intégré pour toute prise à une certaine distance d’une source d’eau? D’accord, peut-être que le code du bâtiment moderne aurait sauvé Claude François de l’électrocution, mais quand on paye la facture, on en perd son latin.

Patrick Lagacé m’a pris de vitesse ce matin dans son article « Homo iPhonus » et son tournevis. Depuis trois ans maintenant, je rénove mon duplex à temps partiel. Les voisins me voyant suer périodiquement en profitent pour commenter : « Tu es courageux ». Je leur réponds toujours la même chose : « Non, je ne suis pas courageux, je suis en fait trop pauvre pour tout sous-traiter. » En fait, le coût de la sous-traitance de certaines tâches est rendu carrément démesuré par rapport au service rendu. Dans un monde de plus en plus scolarisé, on a répété aux « intellectuels » qu’ils n’étaient pas des « manuels » et qu’il fallait payer pour certaines besognes. Sommes-nous devenus des victimes du marketing des « manuels »? Chose certaine, nos grands-pères seraient sûrement découragés de notre impotence calculée.Iphones 16 février 2013 525

En outre, l’impotent en général fait de mauvais calculs. Dans la majorité des cas, il est tout à fait faux de penser que de travailler ailleurs permet de compenser le coût de la sous-traitance. Chaque besogne doit être évaluée, avant d’en arriver à une telle conclusion. Des professionnels des affaires ou de la plume qui payent pour faire installer un lave-vaisselle, changer un luminaire ou installer une unité de chauffage, on ne les compte plus. Parfois, c’est par manque de confiance, d’autres fois, c’est par inexpérience ou manque de temps. Chose certaine, comme le dit toujours mon père « le calcul vaut le travail ».

 

Qui plus est, les manuels d’installation s’assurent maintenant de jouer à l’épouvantail : « Faites installer ce dispositif par un professionnel. Toute installation par un amateur pourrait causer un incendie ». Il y a toujours bien une limite à faire venir un professionnel pour joindre deux fils avec un connecteur et revisser le tout! Je ne suis pas diplômé de l’ITHQ, mais je n’ai jamais fait exploser mon barbecue en faisant cuire des hamburgers!

Ça me rappelle un professeur de HEC Montréal. Dans le début de la soixantaine, il m’a donné une leçon de base : « la différence entre un travailleur de la construction et toi, c’est que lui le fera comme il se doit du premier coup. Toi, ce sera plus long la première fois. Il faudra juste que tu sois prêt à prendre du temps et recommencer. » La majorité des travailleurs devraient faire le calcul. Ce type de besogne se fait généralement dans un moment où l’on ne gagnerait pas de revenus. On peut emprunter le temps sur les 28,5 heures en moyenne passées par un Canadien devant le téléviseur ou sur cet après-midi à boire du bon temps sur une terrasse. Mais au bout du compte, rémunérer quelqu’un 45 $ à 80 $ de l’heure (plus taxes!), il faut être riche pour déterminer qu’il vaut mieux travailler plus en mettant l’impôt dans la balance!

Le 23 décembre 2012, ma conjointe décide qu’elle veut que j’installe une laveuse. Facile, je me dis. Je vais lui faire plaisir et le tout sera réglé dans quelques minutes. C’était sans compter sur mon « money pit » de duplex pour me surprendre une fois de plus. Après avoir effectué le branchement arriva ce qui devait arriver : le dispositif était trop vieux, l’eau a commencé à être pulvérisée dans tous les sens. Je me dis, pas de panique, on change les joints d’étanchéité et le tout est réglé. Arrivé chez le quincailler, un autre son de cloche :

–          Il faut que tu changes les cartouches, celles-là, on en les a pas en stock, ça va être une commande spéciale. Tu devrais changer tout le système!

Trop compliqué pour moi, en bon impotent, j’appelle le plombier. Conclusion, le tarif d’urgence à l’heure se compare à celui d’un médecin spécialiste ou d’un animateur de télévision connu. Il y a toujours le fameux « deux heures minimum » et cela ne compte pas tous ceux qui ne veulent pas déclarer le service. Au bout du compte, je me dis « ça va faire ». Je me suis acheté une torche à souder, des tuyaux de cuivres, un système de valve à bille, de la pâte pour plomberie, quelques joints de cuivre et je suis retourné à la maison. Une heure plus tard, tout était réglé et mon budget de cadeaux de Noël venait d’être épargné.

En somme, j’ai été longtemps un impotent. Je me contentais de faire les tâches de base : tonte de la pelouse, pause d’un cadre, peinture à l’occasion et « gosser » des réparations à mes heures. J’ai même déjà eu un dégât d’eau parce que je ne comprenais pas les petites valves de mon système de chauffage à l’eau.

Puis un jour, je suis devenu propriétaire. Après des centaines d’heures à rénover, réparer ou entretenir, j’en apprends encore et encore chaque jour. Chaque petite tâche est un nouvel apprentissage. Par contre, une fois le travail accompli, j’en tire une grande satisfaction. Mon travail d’intellectuel est souvent intangible, mon utilité ne laisse pas de trace visible et directe dans la société. Paradoxalement, effectuer un travail manuel et voir le résultat bien tangible me permet d’en tirer une satisfaction insoupçonnée. Comme quoi un certain bonheur vient parfois de choses toutes simples. Nous sommes moins impotents que nous le croyons.

Bon, il me reste à apprendre à conduire manuel maintenant…