La Légende du manuel sacré : Il était une fois dans l'Est
Scène

La Légende du manuel sacré : Il était une fois dans l’Est

Une chose que l’on peut dire avec certitude à propos de La Légende du manuel sacré, c’est que ce spectacle ne ressemble à rien de ce qu’on a pu voir cette saison sur les scènes théâtrales montréalaises. Imaginez un parfum de l’Orient millénaire transporté en sol québécois… Étrange vision.

Vous pouvez ainsi y voir des comédiens québécois, grimés et costumés (superbement) à la façon chinoise, manier avec dextérité le sabre, tous rompus aux principes du wushu, une technique d’art martial maîtrisée par les acteurs de l’Opéra de Pékin. Les membres du collectif Voies obscures ont été formés par Huy-Phong Doàn, LE chorégraphe de combat auquel font appel les théâtres montréalais, qui signe aussi la mise en scène de cette pièce au style élégant et singulier.

Présenté à l’Espace Libre, jusqu’au 20 juin, le texte de Doàn et d’Olivier Choinière suit des lignes classiques, ne dérogeant guère aux codes du genre. Dans cette saga légendaire sise dans la Chine antique, il est question de pouvoir, d’ambition, de violence, de vengeance, de trahison, d’amour, de passation des pouvoirs (voulue ou pas) d’une génération à l’autre… Censé receler des pouvoirs qui rendent invincible, le fameux manuel devient l’objet d’une lutte entre deux clans. Pris de force à son gardien attitré, qui avait préféré ne pas l’ouvrir, le traité d’art martial tombe entre les mains du bras droit (personnage masculin joué par Marie-Hélène Fortin) du chef du clan des Hauts-Plateaux (Jean-Pierre Ronfard), qu’il trahit. La terreur s’ensuit…

Épargnés par le massacre, les deux fils du gardien du manuel adoptent une attitude différente: l’aîné (Claude Despins) est obsédé par la vengeance, alors que le cadet (Maxim Gaudette) aimerait «trouver la paix qui fut jadis perdue». On devine que la philosophie bouddhiste de non-violence sous-tend cette pièce qui se termine par un massacre…
Entrecoupé de deux pauses-saké (changement de costumes oblige), servi tout ce qu’il y a de plus cérémonieusement par des comédiens, La Légende… possède avant tout la texture d’un rituel. L’espace de jeu dénudé, tout juste drapé de quelques banderoles, devient l’arène d’une histoire à raconter. Aussitôt leur personnage mort, les comédiens se relèvent et vont reprendre leur place autour de la scène, participant à cette cérémonie narrative. Leurs effets de voix surgis du plus profond de la gorge, assez envoûtants, et les combats chorégraphiques aux mouvements amples concourent à la beauté formelle du spectacle.
L’objet a beau paraître exotique, les comédiens, qui s’entraînent depuis deux ans, l’assument entièrement. Sérieux comme des bonzes, même s’ils ne sont pas tous également à la hauteur de cette technique qui exige de la concentration et permet l’expression de l’«âme» ou de la «présence»… Soulignons la grâce de plus en plus affirmée du jeune Maxim Gaudette, la maîtrise de Claude Despins, l’agilité de Rodrigue Proteau, et le (double) jeu convaincu de Marie-Hélène Fortin, en fils traître qui se transforme… en femme pour mieux dérouter l’adversaire.

Certes, au bout d’un moment, l’effet de surprise s’émousse; le spectacle révèle des incohérences et des longueurs, surtout quand le texte, qui ne brille pas par son originalité, prend le dessus…

Mais la mise en scène simple et soignée de Doàn est loin d’être dépourvue de trouvailles. Ainsi, l`ingéniosité de cette scène où le petit frère doit décider de son avenir, toute en lenteur et en drapés… Il serait dommage de ne pas mettre à profit ce talent original.
Jusqu’au 20 juin
A l’Espace Libre
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