Willy Protagoras enfermé dans les toilettes : Refus global
Scène

Willy Protagoras enfermé dans les toilettes : Refus global

La création de la première pièce de WAJDI MOUAWAD est dès lors un événement pour la dramaturgie québécoise. Avec une ouvre de jeunesse aussi belle que délirante, le jeune auteur rejoint les Lepage, Tremblay et Bouchard et autres figures incontournables de notre théâtre.

NON! A la base de Willy Protagoras enfermé dans les toilettes, on retrouve ce petit mot de trois lettres. Willy refuse d’ouvrir la porte des W.-C. pour y laisser entrer quiconque. Willy refuse d’écouter son père et sa mère. Il refuse de négocier avec les voisins ou les intrus qui squattent chez lui. Willy refuse le monde qu’il trouve bête, laid et méchant. Tout comme le jeune homme déçu par ses amours, sa famille et sa peinture dit non à la guerre, au pouvoir, à la bourgeoisie, à l’hypocrisie… Bref, il nous emmerde, ce cher Willy!

C’est le propre de la jeunesse que de refuser de se conformer au monde adulte. Des signataires de Refus global aux ravers de l’an 2000, en passant par les étudiants de Mai 68, combien de jeunes ont dit non aux lois et aux gestes de leurs aînés? Quand cet anticonformisme nourrit la création théâtrale d’auteurs de talent, cela donne de grandes pièces. C’est-à-dire des ouvres portées par un souffle de révolte, une urgence de dire, et une volonté de changer les choses.

Le répertoire québécois compte de très bonnes ouvres de jeunesse. Les Belles-Sours de Tremblay, Being at Home with Claude de Dubois, Les Feluettes de Bouchard. Wajdi Mouawad rejoint les rangs avec Willy Protagoras enfermé dans les toilettes, sa première pièce écrite en 1991, alors qu’il était encore à l’École nationale de théâtre! Une ouvre hybride qui mêle le politique et le romantique, le lyrique et le grotesque, le poétique et le scatologique. (Un personnage se soulage sur la scène… puis marche carrément dans son tas de merde!)
D’ailleurs, ces nombreuses allusions aux besoins primaires, qui feraient rougir Alfred Jarry lui-même, pourraient lasser. Mais le texte de Mouawad transcende cette provocation de base.

Willy Protagoras… est un cri d’amour lancé dans le désert tragicomique de l’existence.
Cette pièce importante aurait dû voir le jour bien avant aujourd’hui. Or voilà, nous sommes au Québec… Aucun théâtre institutionnel ne veut se risquer à produire la première pièce d’un inconnu avec une distribution de 20 comédiens. Because cela n’est pas conforme à la logique de gestion des entreprises culturelles. Enfin, sept ans plus tard, la compagnie de Mouawad, le Théâtre O Parleur, donne vie à Willy Protagoras… au Studio André-Pagé de l’École nationale, jusqu’au 13 juin. Avec les moyens du bord, une distribution de 20 comédiens qui s’investissent totalement, une mise en scène précise, rythmée, et une géniale musique du compositeur Mathieu Farhoud qui accompagne parfaitement la beauté délirante du texte, ce spectacle est donc un des événements de cette saison qui prend fin.

Parmi les comédiens, il faut mentionner l’excellent jeu de Stéphane Jacques, Denis Gravereaux, Chantal Dumoulin, Éric Bernier et Dominique Quesnel. Cette dernière est tout simplement hallucinante dans un registre qui touche les cimes du grotesque et de la monstruosité. Chapeau! Aussi, le soir de la première, samedi dernier, la chorale de l’Accueil Bonneau est apparue pendant la scène du déménagement. Les joyeux choristes ont entamé Quand les hommes vivront d’amour. Un moment de pur délice, pendant leuquel il y avait autant de monde sur la scène que dans la salle!

Certes, cette production de deux heures vingt sans entracte comporte quelques longueurs. Les monologues de Willy sont parfois répétitifs. Ils soulignent trop les intentions de l’auteur, et nuisent à la structure dramatique de la pièce. Ils donnent au texte un peu l’allure d’un manifeste. Un type de littérature qui ne convient pas bien au théâtre. Un dramaturge ne juge jamais ses personnages et pose des questions à travers une fiction. Alors que l’auteur d’un manifeste veut faire passer un message, une morale, en blâmant les autres pour ses problèmes sans jamais se remettre en question.

Peu importe. Car derrière la révolte de Willy Protagoras se cache une grande déclaration d’amour: celle d’un artiste qui a connu la guerre (du Liban) envers l’humanité. Or, c’est connu, on en fait toujours trop lorsqu’on est amoureux. Alors, les maladresses de l’auteur rendent encore plus belle et sincère sa pièce.

Finalement, Willy Protagoras ne dit pas non à tout. Le jeune peintre s’enferme dans les chiottes pour mieux se retrouver lui-même. Pour ouvrir son cour. Après cela, il pourra enfin dire oui. Oui à l’amour, à la création et à toutes ces choses qui nous rendent plus grands. C’est-à-dire plus humains.

Jusqu’au 13 juin
Au Studio André-Pagé
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