Scène

En attendant Godot : Double messieurs

Décidément, le Centaur devient une adresse de plus en plus fréquentable. Après le magnifique Tremblay de l’automne (For the Pleasure of Seeing Her Again, qui fera une tournée canadienne la saison prochaine), l’institution théâtrale du Montréal anglophone, qui fête bellement ses trente printemps, nous convie à un autre rendez-vous incontournable: En attendant Godot mis en scène par l’Irlandais Ben Barnes, ancien directeur de l’Abbey Theatre, à Dublin.

Lui-même fils de la verte île, Beckett avait révisé la traduction de sa pièce, originellement écrite en français, pour une production berlinoise, en 1975. C’est cette version, un peu différente, que le metteur en scène a choisie. Dans la scénographie fort dépouillée de David Gaucher (qui signe aussi les costumes, parfaits), un espace dont la brique nue fait superbement écho au reste de la salle, son spectacle allie épure et rigueur, rondeur et précision. Cette enveloppe légère permet au texte de se déployer dans tous ses atours: drôle, pathétique, crépusculaire, à l’humanité transparente.

La distribution, composée d’acteurs canadiens que, pour ma part, je découvrais, est irréprochable, et fort bien dirigée, tant sur le plan de l’interprétation que des déplacements scéniques. Un Vladimir cérébral et songeur (Nicholas Rice) côtoie un Estragon (Michel Perron) tout en chair et en rondeurs, aux accents enfantins. Le grand sec et le rondouillard, le terrien et le lunaire. Avec son allure de duo à la Laurel et Hardy, le célèbre couple de clochards attentistes jongle entre les facéties physiques et les silences essentiels, mettant à jour la dimension comique de l’ouvre écrite il y a un demi-siècle, sans pour autant nous faire perdre de vue ses enjeux métaphysiques.

L’autre couple, celui formé par le maître et l’esclave, se révèle tout aussi, et justement, contrasté. Un poignant Lucky (Peter Batakliev) à qui l’on a composé un masque émacié et exsangue, qui semble porter toute la fatigue et la détresse du monde sur ses épaules affaissées, dans ses deux bras alourdis par les paquets, fait face au Pozzo à l’énergie fanfaronne de Jim Warren.
En prime, la pièce ménage de courts passages en français, lors des interventions de l’enfant, référence non appuyée aux sources mêmes du texte. Quoi de mieux qu’un Irlandais pour comprendre la nature biculturelle de Montréal…

Au Centaur
Jusqu’au 18 avril
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