Scène

Trick or Treat : Tour de force

La nouvelle création de Jean Marc Dalpé a la texture noire, violente et drôle d’un bon film de série B. L’auteur d’Eddy et du Chien dépeint des univers rudes et mâles, où s’agitent petits malfrats et paumés en tous genres, soumis à l’impitoyable «loi de la jungle». Ses personnages sont confrontés à qui ils sont vraiment, leurs ambitions se heurtant violemment à la place qu’ils occupent réellement en ce bas-monde. Et ceux qui ont le malheur de vouloir aller au-delà de leurs limites le paient cher.

Ce texte punché et tranchant repose sur une structure singulière: Trick or Treat est découpée en cinq parties qui fonctionnent comme autant de petites pièces autonomes, toutes placées sous le patronage ironique d’un jour de célébration (fête des Mères, des Pères, du Canada, Halloween et Vendredi saint), pris à contrepied. Servis en guise de préambule, les trois premiers segments révèlent en quelque sorte la fêlure du trio principal: un petit bum (David Boutin) tente en vain d’arracher une réaction à sa mère retranchée dans le mutisme de la folie; un adolescent (Maxime Denommée) affronte l’amant (Claude Despins) de son père; un pégreux local (Pierre Curzi) cause la perte d’un ami (Dalpé lui-même), qui a imprudemment tenté de conduire une «affaire» tout seul.

Tout ça nourrit en quelque sorte la grande scène qui s’avère le noud de la pièce, où éclate la tension construite graduellement: Mike, l’ado, récemment victime de «taxage», veut acheter un revolver au mafieux, qui, même s’il comprend ses sentiments («se faire humilier, c’est comme se faire mordre par un serpent venimeux»: le poison se répand dans vos veines…), commence par refuser: le «client» n’a que quinze ans, et manifestement aucune idée du monde dont cette arme lui ouvrira les portes! Mais le petit délinquant s’en mêle… S’ensuit une angoissante confrontation à trois, aux accents initiatiques pour le propret jeune garçon.

La progression dramatique ainsi créée culmine dans un épilogue pascal où, malgré le rituel de dévotion filiale (la figure paternelle, biologique ou spirituelle, domine toute la pièce telle une ombre), le pardon n’est surtout pas au rendez-vous…

Dalpé nous fait pénétrer dans les situations abruptement, les attaquant de front, sans mise en contexte préalable: les enjeux généraux de chaque scène sont dévoilés peu à peu, en cours de dialogue. Si les détails de l’échange sont laissés dans l’ombre, les personnages se révélent dans l’action, dans les affrontements – à ce titre, les monologues oniriques intercalés entre les scènes paraissent peut-être superflus. Et on est pris dans la tension créée ou soutenue par cette langue hachurée, directe, fortement mâtinée d’anglais, qui donne son jus, sa pulsation et sa crédibilité au texte.

Projections d’indications scéniques à l’appui, la mise en scène énergique de Fernand Rainville – un spécialiste du théâtre urbain et nord-américain – fait écho au rythme plutôt cinématographique de la pièce. Tous justes, les interprètes servent fort bien les dialogues punchés, saccadés, pétris du sens de l’absurde de Dalpé. Se fendant d’une prestation prenante, ce dernier nous rappelle éloquemment qu’il est aussi un acteur. Quant à Pierre Curzi, son jeu fort et convaincant nous donne envie de le voir plus souvent sur scène. S’il flirte presque avec la caricature – voix rauque, démarche dansante, accent incroyablement métissé -, David Boutin compose un bum mémorable et des plus inquiétants. À ne pas croiser un soir d’Halloween…

Trick or Treat? La pièce de Jean Marc Dalpé nous réserve les deux: des tours à sa façon, et des gâteries savoureuses. Une véritable friandise, pour qui aime les saveurs corsées.

Jusqu’au 24 avril
À La Licorne