Jacques Lassalle : Les mots pour le dire
Scène

Jacques Lassalle : Les mots pour le dire

Au bout du fil, la voix est chaleureuse. L’ancien administrateur de la Comédie-Française se réjouit de retrouver le Québec ce week-end, dans le cadre du Festival de théâtre des Amériques (FTA). Il est venu pour la première fois à Montréal en 1978, juste après avoir découvert, «avec bonheur», À toi, pour toujours, ta Marie-Lou, de Tremblay. Jacques Lassalle vient présenter Pour un oui ou pour un non de Nathalie Sarraute, un des deux spectacles de l’Hexagone à l’affiche de cette huitième édition du FTA (l’autre étant La Ferme du Garet de Raymond Depardon, mis en scène par Marc Feld, du 23 au 26 mai).

Créée l’an dernier au Théâtre Vidy-Lausanne, Pour un oui ou pour un non est la troisième pièce de Sarraute que Lassalle met en scène, après Elle est là et Le silence au Théâtre du Vieux-Colombier, à Paris, en 1993. Depuis, l’homme de théâtre entretient «une profonde et affectueuse amitié» avec l’auteure qui aura 99 ans en juillet prochain!

L’amitié est justement le sujet de cette pièce. Ou plutôt ce qui reste d’avenir à une longue amitié entre deux hommes, après que l’un des deux amis eut dit à l’autre, au sujet d’une information personnelle: «C’est bien, ça…»

De l’échange anodin à la dispute fatale entre des amis, il y a parfois trois petits mots d’écart. Selon l’inflexion de la voix ou le moment choisi pour les prononcer, tout peut chavirer. «Le langage est un piège, reconnaît Jacques Lassalle. Les mots finissent par dire ce qui nous échappe… Et pour moi, le langage représente le sujet ultime du théâtre.»

Considérée par la critique comme «un chef-d’ouvre de dialogue théâtral», cette «fugue sarrautienne» a aussi été portée à l’écran par le réalisateur Jacques Doillon.

Si le théâtre est une aventure tardive pour l’ex-grande dame du nouveau roman, elle n’en est pas moins importante. «Sarraute explore le territoire des tropismes; nos réflexes, nos réactions par rapport au monde extérieur. Elle voit notre monde à travers les petites choses, les détails, les microcosmes. Et j’aime travailler sur ce genre de matériau», explique le metteur en scène qui, de Sophocle à Marivaux, a amplement visité le répertoire universel.

«Comme Sarraute, je crois que les êtres humains ne sommes pas le résultat de leurs grandes décisions, de leurs choix importants, mais plutôt le reflet de leurs petites colères et de leurs pensées secrètes. Par exemple, l’amitié et l’amour sont de nobles choses. Mais ils ne tiennent souvent qu’à un fil. Il est tragique de réaliser que les passions et les grands sentiments sont constitués autant de haine que d’amour. Voilà pourquoi ils sont si explosifs!»

A priori, Pour un oui ou pour un non est un théâtre impossible. On ne retrouve pas d’action dramatique, pas de récit, pas de décor. Jusqu’aux personnages qui n’ont pas d’identité autre que H1 et H2 (interprétés par Hugues Quester et Jean-Damien Barbin). «Pour moi, poursuit Lassalle, H1 et H2 sont deux parties d’un même individu qui ne cessent de dialoguer. Deux virtualités de nous-mêmes qui n’en finissent pas de s’affronter. Elles sont condamnées au conflit et à la coexistence.»
Comme Tchekhov, Lassalle croit qu’à défaut de trouver un sens à sa vie, «l’homme est condamné à inventer des formes nouvelles». Mais le metteur en scène n’est pas certain que ces formes doivent se conjuguer au futur. «Face à l’avenir, je suis un éternel inquiet», résume-t-il.

Les profondes mutations technologiques auront-elles raison du théâtre au cours du prochain siècle? «Je garde une certitude: les êtres humains se retrouveront toujours ensemble pour se raconter des histoires, se représenter les choses obscures et invisibles qui hantent leur âme. Le théâtre est comme une bouteille à la mer. Aussi longtemps qu’il restera en nous quelque chose d’humain, il y aura des théâtres.»

Et des hommes passionnés pour en parler.

Du 21 au 25 mai
À la salle Ludger-Duvernay du Monument-National
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