Wajdi Mouawad : L'étoffe des rêves
Scène

Wajdi Mouawad : L’étoffe des rêves

Avec sa plus récente pièce, Rêves, qui sera créée mercredi prochain au Festival de théâtre des Amériques, WAJDI MOUAWAD s’interroge sur la place et le rôle de l’auteur dans notre société. Et sur le succès qui ne change pas le monde… mais!

Wajdi Mouawad a toujours un livre sur lui. Et pas n’importe lequel. Lors d’une précédente rencontre, il était plongé dans Voyage au bout de la nuit de Céline. La semaine dernière, il était en train de «relire» les sept tomes d’À la recherche du temps perdu. «Une des choses importantes de ma vie, une impressionnante somme philosophique», dit-il à propos de l’ouvre de Proust.

À l’instar des personnages de Farenheit 451, dans un monde où les livres seraient bannis, l’auteur de Littoral apprendrait par cour un chef-d’ouvre pour en sauvegarder la mémoire. Car Mouawad se considère comme «un porteur de paroles» beaucoup plus que comme un homme de théâtre: «Ce qui m’intéresse, ce sont les mots, les idées. Au fond, la mise en scène ne m’intéresse pas», dit celui qui prendra la relève de Pierre Bernard à la direction artistique du Théâtre de Quat’Sous, en janvier 2000. «Pour moi, la mise en scène est au service de la parole. J’ai commencé à faire de la mise en scène pour la bonne raison que je refusais d’attendre quatre ou cinq ans avant qu’une compagnie décide de produire ma première pièce. J’avais des choses à dire et j’étais impatient de les exprimer.

«Si, dans un spectacle, j’invente une image, c’est parce qu’elle parle. Pour moi, l’image n’est pas sur scène mais dans la tête du spectateur. J’adore prendre le spectateur en flagrant délit d’imagination. C’est un aveu qu’il croit en quelque chose qui n’est pas vraiment là. C’est ça, une image. Pas ce qu’on nous montre aux nouvelles à la télévision. La force de l’intelligence humaine, c’est qu’elle est capable de créer des objets que la nature elle-même est incapable de faire. Guernica, de Picasso, ça n’existe pas dans la nature. C’est le défi et la grandeur de l’homme que de représenter des choses qui transcendent la réalité. Et pour ça, il faut prendre des risques, suggérer de nouvelles choses. Même si ça fait peur…»

Le paradoxe du succès
Il y a deux ans, Wajdi Mouawad était un inconnu dont la plupart des gens arrivaient difficilement à prononcer le nom. Puis, il y a eu Littoral, un grand petit spectacle au budget de 20 000 dollars créé au FTA, en mai 1997. Littoral, qui a remporté un immense succès à Montréal et en tournée au Québec, sera présenté au Cloître des Célestins lors du Festival d’Avignon en juillet, puis repartira en tournée.

Avec aussi la reprise de Willy Protagoras enfermé dans les toilettes, au Théâtre d’Aujourd’hui en septembre, et la création de Rêves au FTA du 2 au 6 juin, reprise au Quat’Sous l’an prochain, le Théâtre Ô Parleur (la petite compagnie fondée et dirigée bénévolement par Mouawad, Isabelle Leblanc, et Lucie Janvier) produira donc trois spectacles mettant en vedette une quarantaine d’acteurs qui joueront dans 120 représentations.

«Cette année, le Théâtre Ô Parleur a explosé complètement. Il vit une crise de croissance. Nous sommes trois personnes à travailler pour un truc qui en prendrait vingt…»

N’est-ce pas le prix à payer pour le succès? Vos affaires vont bien… non!?

«Quelles affaires? Je n’ai pas d’affaires! Et je n’ai jamais voulu d’affaires! Je ne fais pas ce métier pour me lancer en business. Je m’excuse. Je réagis de façon forte. Comme un adolescent. Mais, fondamentalement, ça me fait capoter quand je croise des gens dans la rue qui me disent: "Tes affaires vont bien." Et ça arrive de plus en plus avec l’attention que les médias me portent, et que je vis de façon très perméable. Car je ne suis pas sûr qu’elle soit toujours honnête et sincère… (Très longue hésitation.)

«J’ai choisi le théâtre, entre autres, pour me démarquer de ma famille. Dans ma famille – pas mes parents mais les autres -, comme avec la plupart des Libanais pervertis par le commerce, tout tourne autour de l’argent et du statut social. Par exemple, il est impensable qu’une femme se marie avec un homme moins riche qu’elle. En décidant d’étudier le théâtre, je devenais suspect aux yeux de ma famille. Leur annoncer que je voulais devenir un auteur, ou un acteur, c’était comme leur dire que j’allais me prostituer!

«Or, aujourd’hui, je suis super-bien accepté par ma famille. On me voit à la télé. Les journalistes écrivent que j’ai du talent. Je suis invité au Festival d’Avignon. Alors ma famille me respecte. Et je me sens moins libre… Plus à l’étroit dans l’image que les gens ont de moi. Je n’aime pas qu’on m’affirme: Voilà qui tu es: l’homme de théâtre le plus prometteur de sa génération, la nouvelle coqueluche du théâtre québécois, un artiste-phare, etc. Pas par fausse modestie. Mais parce que j’ai toujours fais ce qui me fait peur. Ça été le cas avec Littoral et avec Willy Protagoras. Et c’est encore le cas avec Rêves, où je fais quelque chose de totalement différent de mes deux autres spectacles.»

Dans Rêves, Wajdi Mouawad montre ce qui est «le plus intime et impudique» chez lui: l’acte d’écriture. Un homme, assis dans une chambre d’hôtel, est en train d’écrire. Sur scène, on assiste à ce qui se passe dans la tête de l’écrivain. Un climat onirique s’installe alors que surgissent des personnages de l’imaginaire de l’auteur. Seule la visite de l’hôtelière (la danseuse Estelle Clareton) ne tient pas du songe. Les autres personnages sont interprétés pas une douzaine d’acteurs: Hélène Loiselle, Jean-François Casabonne, Éric Bernier, Pierre Collin, Louise Turcot, Pascal Contamine, Claude Despins, Manon Brunelle, Marie-Claude Langlois, Isabelle Leblanc et Pierre Bernard. Rêves s’est fait aussi avec la complicité du chorégraphe Jean Grand-Maître, avec qui le metteur en scène travaille pour la première fois. Lucie Janvier assite Mouawad à la mise en scène.

Une semaine après notre rencontre, le Quat’Sous a annoncé l’arrivée de Mouawad et le départ de Bernard après plus de dix ans à la barre du théâtre. Bien qu’il soit encore tôt pour parler de ses intentions concrètes, le futur directeur désire ouvrir le théâtre au monde. «Je viens du Liban et j’ai appris mon métier au Québec, résume-t-il au téléphone. Je veux faire émerger une parole d’ici qui regarde vers l’étranger; et une autre qui exprime de quelle manière l’ailleurs regarde l’Amérique. Mais je vais faire entendre surtout la parole des autres. On m’a donné ma chance et je serai en poste pour faire de même avec de jeunes auteurs. Ça ne suffira pas pour moi qu’une pièce soit bonne, elle devra aussi exprimer des idées et des valeurs que je défends. Pour le reste, je ne sais pas ce qui m’attend… La direction artistique, c’est quelque chose que je ne connais pas. Et c’est pour ça que j’ai envie de le faire!»

L’Agora de la danse
Du 2 au 6 juin
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