Nathalie Daigneault : La détresse et l'enchantement
Scène

Nathalie Daigneault : La détresse et l’enchantement

«Globalement perçue, la vie est souffrance et absence de transcendance, et donc fait figure de tragédie. Perçue dans le détail, elle prend des allures de comédie», a écrit Emmanuel Jacquart à propos des théâtres de Beckett, Ionesco et Adamov. Ce constat pourrait aussi s’appliquer à Volée, la première création de Nathalie Daigneault. Dotée d’un solide sens de la dérision, la comédienne a voulu transformer un drame horrible, celui d’une relation incestueuse, en une succession de scènes amusantes et fantaisistes.

Comédienne, animatrice d’ateliers théâtraux, mère de deux bambins, et maintenant auteure et productrice d’une pièce autogérée, Nathalie Daigneault n’a rien d’une créatrice tourmentée. Elle avoue pourtant être fascinée par l’inceste et les «petites pourritures qui se cachent sous la tapisserie des maisons proprettes», un intérêt alimenté par les confidences d’étudiantes et d’amies, qui lui font dire que l’inceste est, encore aujourd’hui, occulté. «La preuve que c’est tabou: moi-même, j’ai peur que les médias parlent de Volée comme d’une "pièce sur l’inceste", et je dois spécifier que c’est, avant tout, un spectacle drôle», souligne-t-elle.

Pour démystifier l’inceste sans s’apitoyer sur le sort des victimes, la comédienne s’est entourée d’artisans d’expérience, dont José Babin à la mise en scène. «Elle a beaucoup de poésie en elle. Par son langage corporel privilégié, elle a donné un côté surréaliste et absurde à ma pièce. La première fois qu’on a joué la scène où Élise (le personnage qu’incarnera Daigneault) se fait abuser par son père, on s’est dit: "Mon Dieu, que c’est beau!" C’était très touchant.»

Dans Volée, les comédiens George Cloutier, François Dupuy, Françoise Lemaître-Auger, Louis-Philippe Paulhus et Marie Eykel ont opté pour un jeu qui n’a rien de téléromanesque ou, précise-t-elle, de stanislavskien. «On joue toujours avec une certaine distanciation, pour éviter le mélo.» Mais attention, bien que présentée à la Salle Fred-Barry, Volée _ «comme dans manger une volée, enfance volée et s’envoler» _ vise un public adulte. «Nous ne sommes pas des travailleurs sociaux, mais des artistes», souligne la comédienne.

Ceci dit, Nathalie Daigneault espère mettre un peu de baume sur les plaies des victimes d’abus. «Je veux offrir une création qui donne des ailes, qui montre qu’il est possible de s’en sortir, et laisse le spectateur avec le cour léger.» Et pour bien se faire comprendre, la femme-orchestre de Volée tente une comparaison: «Notre pièce se rapproche plus de La vie est belle, un beau film malgré son sujet difficile, que de Schindler’s List, si dur qu’il faut des heures pour s’en remettre. Disons que tu pourrais facilement aller boire une sangria sur une terrasse après!»

Du 8 au 19 juin
À la Salle Fred-Barry
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