Théâtres d'ici vus d'ailleurs : Prendre acte
Scène

Théâtres d’ici vus d’ailleurs : Prendre acte

Au cours de la fin de semaine s’est déroulé un important colloque sur le rayonnement international du théâtre québécois. Universel, le théâtre d’ici?

Ce fut tout un brassage d’idées, d’analyses et de témoignages qui occupa pendant trois jours les participants au colloque «Théâtres d’ici vus d’ailleurs», organisé conjointement par le Centre d’études québécoises (CÉTUQ) et la Société québécoise d’études théâtrales (SQET), en marge du Festival de théâtre des Amériques. Conférenciers belges, écossais, polonais, gallois, américains, français, anglais, australiens, espagnols, italiens et québécois ont rendu compte du rayonnement de notre théâtre dans le monde.

L’organisateur du colloque, le professeur et critique Gilbert David, fait un bilan positif. L’un des objectifs était de créer un réseau en faisant se rencontrer des gens, universitaires et praticiens d’horizons divers ayant une expertise particulière relative à la diffusion à l’étranger du théâtre québécois. «Les festivals, tournées et traductions font que ce théâtre est vu ailleurs, mais il y a aussi le relais universitaire, explique-t-il, et je pense que ça va stimuler les études sur le théâtre québécois et permettre d’élargir la connaissance de ce théâtre.»

Une masse d’informations a été livrée au public, sur des sujets très divers. Le traducteur Martin Bowman, né à Montréal de parents écossais, qui a traduit plusieurs pièces de Michel Tremblay, a raconté l’histoire d’amour de son pays avec notre dramaturge national, dont un critique a dit qu’il était «le meilleur auteur dramatique que l’Écosse ait connu». Rappelant les similarités sociopolitiques entre le Québec et l’Écosse, qui compte cinq millions d’habitants, ayant souffert de la domination anglaise, et toujours ambivalents par rapport à la sécession, il affirme que «le théâtre de Michel Tremblay a été un véhicule de diffusion du théâtre écossais à travers le monde».

De même, pour le Gallois Gareth Miles, traducteur de Cendres de cailloux de Daniel Danis dans la langue du pays de Galles, «un pays qui n’en finit plus de ne pas être un pays», la transmission de l’essence de cette ouvre allait de soi. Ce qui n’est pas toujours le cas, comme l’a démontré le Polonais Januz Przychodzen, de l’Université de Berkeley. En Pologne, où il n’y a ni minorité ni conflit linguistiques, Les Belles-Sours ont perdu beaucoup dans la traduction en langue polonaise: «Les tournures joual disparaissent et les phrases en polonais paraissent tout à fait normales
dit-il; la langue perd donc son aspect choquant.»

Plusieurs panélistes ont posé la question de la spécificité québécoise au théâtre, et de l’évolution dans sa réception, en France notamment. Marie-Agnès Sevestre, directrice de L’Hippodrome de Douai, a rappelé que la première fois qu’elle avait lu un texte québécois, envoyé par le Centre des auteurs dramatiques (CEAD), en 1989, elle avait répondu: «Ce texte est écrit dans une autre langue que la nôtre.» Ce refus de prendre position sur ce qu’on percevait alors comme «un objet non identifié» a fait place au fil des ans à «un travail d’appropriation des textes québécois par les acteurs et metteurs en scène français». Dominique Lafon, de l’Université d’Ottawa, affirmait que «dans la réception à l’étranger du théâtre québécois, le folklorique a cédé sa place à l’universel». Ainsi, on met à présent l’accent sur la portée mythique et non plus sociale du thème de la famille, si fort dans notre dramaturgie.

Par ailleurs, vu l’accueil enthousiaste réservé, hors Québec, à nos créateurs, le metteur en scène belge Michel Tanner s’est interrogé: «Pourquoi n’y a-t-il pas réciprocité?» Son compatriote, l’éditeur Émile Lansman, qui connaît bien la dramaturgie d’ici, renchérissait: «La curiosité du monde théâtral québécois pour la dramaturgie francophone européenne est inversement proportionnelle à sa volonté de faire connaître ses auteurs à l’étranger», a-t-il ironisé.

Pour Gilbert David, la question de la réciprocité est liée à des problèmes budgétaires. Les compagnies théâtrales du Québec, souffrant d’une criante insuffisance de fonds, ont peu de moyens d’assurer l’accueil chez nous de compagnies étrangères. Il faudra que les subventionneurs, qui brillaient par leur absence au colloque, soient sensibilisés à cette question. L’éditeur Lansman, qui a souligné l’importance de ses nombreux séjours au Québec pour arriver à bien comprendre la diversité de sa dramaturgie, a lancé un vibrant plaidoyer en faveur d’une «relation autant affective que culturelle entre les créateurs d’ici et d’ailleurs».

Les périodes de temps accordées pour les communications étant restreintes, les conférenciers ont souvent dû s’interrompre avant d’arriver au terme de leur présentation. Toutefois, les actes du colloque seront publiés au printemps 2000.