Les Précieuses ridicules : Molière dans le Village
Scène

Les Précieuses ridicules : Molière dans le Village

DENYS PARIS propose une «relecture» gaie des Précieuses ridicules, avec une distribution entièrement masculine, comme à l’époque élisabéthaine. Le cul, la drogue, et le kistch en plus. Inégal et flamboyant.

Quand Molière rencontre la culture du Village, le fruit de leur étrange union est bien de la couleur attendue: salace, voire grivois, débridé, flamboyant. Les Précieuses ridicules des Productions de la Gaydaille (sous le manteau du Festival Juste pour rire, lequel, décidément, récupère tout ce qui fait rigoler en ville…) doit autant au burlesque et aux performances de drag queen, avec un petit clin d’oil à La Cage aux folles, qu’à un certain Jean-Baptiste Poquelin. Un cocktail détonnant, fort hétérogène, plus exhubérant que raffiné, mais qui offre des moments de pur plaisir.

Précisons d’emblée que cette courte comédie de Molière, l’une de ses premières – elle préfigure en quelque sorte, sur le mode mineur, Les Femmes savantes -, est montée avec une distribution entièrement masculine, comme à la glorieuse époque élisabéthaine… ou comme les spectacles où brillent aujourd’hui les Mado et compagnie. Après tout, que sont donc les Précieuses, sinon deux êtres qui travestissent leur identité et prétendent être autre que ce qu’elles sont? Molière prend au piège de leur affectation ces deux provinciales qui dédaignent les gentilshommes qu’on leur propose en mariage, rêvant plutôt de noblesse et de vers maniérés.

Drapées dans des costumes tape-à-l’oil, campées dans un décor kitsch à souhait, nos coquettes prennent donc les traits de deux grandes folles. Des folles qui empruntent aux protagonistes de l’hilarante sitcom britannique Absolutely Fabulous, dont elles reproduisent le mélange d’affectation, de snobisme de classe et de décadence effrénée. Michel Langevin, notamment, offre une irrésistible évocation de la blonde Patsy, en un rien plus caricaturale. Toute en mimiques désopilantes, en intonations apprêtées, sa composition très physique ne démérite guère du début à la fin. Bien appuyé par Jasmin Roy, qui démontre presque autant d’aplomb, Langevin vole le show. L’autre personnage important de la pièce, le faux marquis, tout de cuir vêtu, incarné par Yvon Bilodeau, paraît un peu pâlot en comparaison.

En fait, le duo de comédiens perruqués éclipse totalement le reste de la distribution, dont les performances oscillent de passables à fleurant fortement l’amateurisme. C’est la grande faiblesse de ce spectacle mis en scène par Denys Paris, où le manque de rigueur entraîne des longueurs. Mais où la complicité entre les comédiens et le public est manifeste.
Les détails comiques y semblent souvent plus soignés que la vision d’ensemble. Dans ce carnaval burlesque, on perd en esprit ce que l’on gagne en extravagances, et le texte, parfois noyé dans un débordement corporel, devient un peu accessoire, prétexte à des trouvailles scéniques (même s’il est savoureux d’entendre, dans la bouche des fausses jeunes filles, des répliques telles «Comment penser qu’on peut coucher avec un homme vraiment nu?»…).

Cette «relecture» gaie des Précieuses ridicules – pièce qui, il est vrai, ne prétendait guère à autre chose qu’à divertir – ne pèche pas par subtilité, tirant plus sur la grosse farce que sur la satire de mours. Bien entendu, tout le sous-texte sexuel est explicité très crûment. Et plus encore! Disons qu’on a lu très librement entre les lignes molièresques. Les précieux d’aujourd’hui, ainsi que tous ceux qui déplorent la sur-sexualisation de la culture gaie, feraient mieux de passer leur tour…

Jusqu’au 24 juillet
Au Théâtre National
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