Patrice Savard : Il était une fois dans l'Est
Scène

Patrice Savard : Il était une fois dans l’Est

Patrice Savard est probablement le plus russophile des comédiens québécois. Ces deux dernières années, en fait depuis que son jeu a été remarqué dans Les Démons – une adaptation du roman de Dostoïevski que le Groupe de la Veillée reprend, du 7 au 25 septembre, dans sa salle nouvellement baptisée Théâtre Prospero -, il a joué pour les metteurs en scène russes Oleg Kisseliov (Le Songe d’une nuit d’été) et Alexandre Marine (l’étonnant Marchand de sable, en 98), qui le dirigera, de plus, dans le rôle du roi Claudius, oncle d’Hamlet, en novembre, et dans Salle numéro 6, d’après Tchekhov, au printemps 2000. Ajoutons que le comédien a épousé une actrice russe…

Prédestiné? Son premier contact avec le théâtre, dans sa campagne d’origine, est passé par le livre de Stanislavski, La Formation de l’acteur. Un coup de foudre qui a précipité son désir de jouer. «Pour moi, c’est une affinité absolument naturelle, expose Patrice Savard. Je me sens très à l’aise avec les acteurs russes. Le respect de la scène, où l’on peut faire n’importe quoi, mais pas n’importe comment, est naturel chez eux. Et je suis quelqu’un d’assez sérieux, ce qui plaît beaucoup aux metteurs en scène de l’Est. Mais avec les autres, je sais que ça ne m’aide pas: \"Pour qui il se prend?" Il faut faire des blagues… Pour moi, peut-être parce que j’ai longtemps été impressionné par la scène, c’était déplacé de démontrer autant d’aisance.»

Il faut dire que le cheminement du comédien a été assez long, avant de parvenir à cette très prolifique saison, où il jouera des rôles importants dans quatre spectacles. Au milieu des années 80, Savard quitte l’École nationale de théâtre après un an, à cause d’un conflit de personnalité. Après un séjour d’études à Paris, il devient secrétaire-réceptionniste, justement à la Veillée, où il obtient sa première chance de se faire valoir, dans L’Anarque! Attiré depuis toujours par le questionnement face au travail de l’acteur, le comédien assiste ensuite Pol Pelletier pendant trois ans et demi, dirigeant l’entraînement physique au dojo.

«Après, j’ai commencé à jouer un peu plus. Je sentais le besoin de combler une lacune. J’avais – et j’ai encore – des complexes par rapport au fait que je n’ai pas fait l’École. Mais, au bout du compte, je me rends compte que c’est sur les planches que ça se passe. J’ai l’impression que je maîtrise le métier de plus en plus. J’ai fait de la tournée en masse. Pour moi, c’était devenu une obsession: je savais que la seule façon d’être meilleur, c’était de jouer. Je n’ai plus de complexes à être sur les planches. Et j’ai de plus en plus de plaisir à jouer.»

Patrice Savard constate qu’il est plus détendu, lui qui s’apprête à réendosser, deux ans après sa création, le rôle principal des Démons, le «roman le plus compliqué de Dostoïevski», dont Téo Spychalski a signé l’adaptation et la mise en scène. De cette oeuvre dense à l’aura prophétique, inspirée d’un assassinat politique survenu en 1869, le comédien goûte «la démesure des personnages». Même s’il y avait plusieurs acteurs en lice, au départ, il était clair dans l’esprit de Savard que le très charismatique Nikolaï Stavroguine était pour lui. «Je sais que les personnages nobles sont dans mes cordes. Et j’ai un côté un peu sauvage…»

Doté d’une «force surhumaine», qu’il n’a réussi à canaliser vraiment dans aucune cause, aucune idée, ce qui a conduit à sa chute, ce personnage est insaisissable. «Stavroguine, c’est encore plus complexe qu’Hamlet. C’est un flou terrible. Et c’est tout ou c’est rien. C’est intéressant pour un comédien d’aller dans ces extrémités, de voir jusqu’où l’on peut pousser la machine, de se permettre d’être méprisant au maximum, cynique, extrêmement joyeux.»

Le défi de Patrice Savard est de rendre intéressant un personnage complètement usé, dont la flamme est désormais éteinte. «Avant, j’étais le genre d’acteur qui, sur scène, montre qu’il travaille fort j’avais toujours besoin de prouver quelque chose, rappelle-t-il. Alors, j’en mettais beaucoup. Maintenant, je peux être assis et ne rien faire, sans être obligé de recourir à de gros effets, et je sais que ça va être intéressant. Peut-être que ça sonne prétentieux, mais pour moi, c’est un pas de plus.»

Du 7 au 25 septembre
Au Théâtre Prospero
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