Sous le regard des mouches : Au-delà du réel
Scène

Sous le regard des mouches : Au-delà du réel

Sous le regard des mouches est une oeuvre souvent drôle, parfois étrangement séduisante, mais qui n’est pas la pièce la plus accomplie de son auteur, Michel Marc Bouchard.

«Croisement entre Edgar Allan Poe et Tennessee Williams», selon la description même de l’auteur, Sous le regard des mouches est certainement la plus étrange des pièces de Michel Marc Bouchard. À défaut d’être la plus accomplie…
Chez l’auteur des Muses orphelines, les secrets de famille, pierres angulaires de nombre de ses textes, ont toujours été lourds et sombres. Mais il y avait la lumière de l’imaginaire, ce grand mensonge qu’on nomme fiction, pour apporter un peu de rédemption aux êtres. Dans ce conte vénéneux aux accents gothiques, le monde d’illusions qu’ils ont créé coupe les personnages du réel, enfermés qu’ils sont dans un jeu morbide nourri de jalousie, de souffrance, de cruauté, de manipulation, de désir, de dépendance.
Pour déjouer l’ennui et se «soustraire à l’ordinaire», le très cynique Cousin (Roger La Rue, dont l’interprétation ne manque pas de panache), qui pourrait être une version perverse et diabolique d’un personnage «bitch» d’Oscar Wilde, s’amuse à tirer les ficelles de la maisonnée, en mettant en scène des jeux macabres. Il exploite ainsi la candeur et la culpabilité de sa tante (Marie Tifo), et exerce un chantage sur son cousin (Sébastien Delorme), pour qui il éprouve un désir refoulé. Après une fuite dans le monde extérieur, dont il ignorait tout, Vincent en ramène Docile (Céline Bonnier, juste et émouvante dans un rôle qui ne s’éloigne guère de son casting habituel). L’intrusion de ce petit chaperon dans cet univers bizarre et théâtral, à l’ombre des porcheries, sera l’occasion d’ouvrir le jeu de Cousin et d’en briser les mensonges fondateurs…
Souvent drôle, parfois même étrangement séduisante par son humour noir, ses détails insolites, quelques scènes plus lyriques, Sous le regard des mouches n’est pourtant pas une pièce aboutie. Ce texte baroque manque de fini et semble parfois se propulser dans tous les sens, là où les grandes réussites de Michel Marc Bouchard mélangeaient avec doigté humour et drame, métaphore et lyrisme.
Abondamment nouri par le persiflage de Cousin, et par la collision des mondes, le dramaturge met à profit son sens du punch, alignant, avec un peu de complaisance, les répliques qui font mouche. Avec l’irruption du vétérinaire (Normand Lévesque) et de son épouse (Pauline Lapointe), un couple dont l’énergie comique terre à terre semble appartenir à une autre pièce, le spectacle bascule même dans le quiproquo vaudevillesque. Il récolte des rires faciles, mais perd de sa crédibilité.
Pas évident de camper sur scène cet univers où le réel vient faire éclater l’illusion théâtrale. Au lieu de miser complètement sur ses allures de conte, la mise en scène de l’auteur, sa première, semble hésiter quelque part à mi-chemin du réalisme, écartelée, par exemple, entre l’ambiance très clinique du décor signé Daniel Castonguay, et une trame musicale appuyée, qui joue d’outrance.
Dans l’ensemble, le propos de la pièce – qui entend dénoncer le sensationnalisme et la mort-spectacle – paraît d’ailleurs manquer de subtilité dans sa représentation symbolique. Disons-le tout net: c’est un peu gros. Ainsi, le personnage de Pauline Lapointe, qui pleurniche sur les émissions de catastrophes, sert surtout la pensée éditoriale de l’auteur…
Moins convaincant quand il chausse ses bottes de pamphlétaire, l’auteur des Feluettes est à son meilleur lorsqu’il fait vivre des personnages complexes. Des personnages qui, depuis vingt ans, et plus particulièrement depuis une décennie, ont su nous toucher, avec leur lumière et leur noirceur. Hélas, ceux de Sous le regard des mouches restent généralement trop emblématiques, prisonniers des intentions du dramaturge.
Au Théâtre Jean-Duceppe
Jusqu’au 25 mars >/i>
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