Monsieur Smytchkov : Un coeur simple
Scène

Monsieur Smytchkov : Un coeur simple

«Rien n’est plus difficile que d’arriver à être simple», confiait Pierre-Yves Lemieux à quelques jours de la première de Monsieur Smytchkov. Avec cette création écrite à la manière de Tchékhov, le dramaturge démontre qu’il est bel et bien un héritier du grand auteur russe.

«Rien n’est plus difficile que d’arriver à être simple», confiait Pierre-Yves Lemieux à quelques jours de la première de Monsieur Smytchkov. Avec cette création écrite à la manière de Tchékhov, le dramaturge démontre qu’il est bel et bien un héritier du grand auteur russe, capable d’enfanter une pièce limpide, brillante et pas compliquée, ce qui n’est pas donné à tous. Né d’une commande du Théâtre de l’Opsis, qui consacre un cycle de trois ans à l’auteur de La Cerisaie, et se concentre cette année sur ses «enfants de plume», son Monsieur Smytchkov tire sa substantifique moelle d’une nouvelle du grand Anton, Le Roman d’une contrebasse, publiée il y a plus de cent ans.

Entre les mains de Lemieux, le musicien imaginé par Tchekhov devient la victime d’un immense chagrin d’amour. Le coeur du contrebassiste Smytchkov (François L’Écuyer) est brisé, et c’est grâce à cette fêlure que nous entrons dans l’univers de ce drôle de petit bonhomme épris de Sofia, une belle «au coeur de marin».

L’espace scénique de l’intime salle Jean-Claude Germain du Théâtre d’Aujourd’hui est dépouillé, animé uniquement par des rayons lumineux, des fragments musicaux bien choisis et, surtout, de courtes phrases tendres ou acidulées, teintées d’autodérision. Avec son sourire de Chat du Cheshire et ses yeux brillants, L’Écuyer livre son monologue – parlant de lui à la troisième personne et mimant les répliques de Sofia – sans un seul temps mort, avec vivacité, énergie (il se roule littéralement pas terre!) et humour. Une belle performance pour cet acteur vu plus souvent à la télé que sur les planches.

Smytchkov est un homme ordinaire qui a eu le malheur de s’amouracher d’une femme extraordinaire. Sa Sofia – «ma déesse», susurre-t-il – envolée vers d’autres cieux, il traîne son chagrin comme un boulet, jusqu’au jour où, par le plus grand des hasards, il la retrouve, nue, près d’un cours d’eau. Monsieur S. lui propose alors un étrange marché: entrer dans l’étui de sa contrebasse, le temps qu’il la porte en lieu sûr.

Monsieur Smytchkov est un romantique qui résume ses sentiments envers celle qui lui a préféré un percussionniste par des phrases caressantes comme «ses cheveux, il les connaissait tous». Le contrebassiste troque toutefois les répliques à l’eau de rose contre le venin quand il est question de son rival, le persussionnistes obèse. Il s’enflammera, entre autres, pour l’instauration d’une «taxe sur le gras»… L’humour cinglant du texte, combiné à l’interprétation enlevée de L’Écuyer, fait ici flèche de tout bois.

Avec ce show d’acteur d’une heure qui traite du non-dit et de la dissimulation, Pierre-Yves Lemieux écrit à la manière de Tchekhov, mais ne verse jamais dans la caricature. Ce conte pour adultes, mis sobrement en scène par Luce Pelletier, ajoute une brique de taille à l’édifice Tchekhov que bâtit patiemment le Théâtre de l’Opsis et devrait être, selon Lemieux, le premier d’une série de trois pièces offrant différents points de vue – de Smytchkov, de Sofia et de son petit chien – de la même histoire. Vivement les prochaines versions de ce conte amusant qui, comme le dit M. Smytchkov, narre avec finesse l’histoire d’un «chagrin siamois, d’un chagrin qui colle».

Jusqu’au 4 mars

Au Théâtre d’Aujourd’hui (Salle Jean-Claude Germain)
Voir calendrier Théâtre