Michel Dumont : Au nom du père
Scène

Michel Dumont : Au nom du père

Michel Dumont incarnera un des rôles les plus imposants du répertoire américain: Big Daddy, dans La Chatte sur un toit brûlant. Rencontre avec le paternel le plus en vue du théâtre  québécois.

Au petit écran, sur les planches ou en personne, Michel Dumont représente l’image emblématique du paternel. Avec sa carrure d’athlète, sa personnalité forte, sa voix grave et rassurante, le populaire comédien impose l’autorité. Tellement, que certains pourraient croire qu’il se cache derrière sa forteresse. Mais dans ses yeux bleus et très clairs traverse une certaine fragilité, une émotion trouble. Une faille qui donne encore plus de profondeur et de richesse à cette figure paternelle.

Michel Dumont est devenu le père le plus en vue du théâtre québécois. Depuis quatre ans, il en a incarné cinq plus grands que nature. Cinq hommes blessés de façons différentes. Cinq personnages tout aussi dramatiques les uns que les autres: Léopold dans À toi, pour toujours, ta Marie-Lou, de Tremblay; Édouard dans Un simple soldat, de Dubé; Willy Loman dans La Mort d’un commis voyageur de Miller; monsieur Dubé dans 24 Poses, de Serge Boucher; et maintenant Big Daddy dans La Chatte sur un toit brûlant, de Tennessee Williams, qui prendra l’affiche chez Duceppe, dès le 5 avril, dans une mise en scène de Fernand Rainville.

Le jour de l’entrevue, dans son restaurant italien préféré, au centre-ville, Michel Dumont est d’ailleurs traité avec tous les égards d’un padre par le padrone de l’endroit. «C’est vrai qu’on pense de plus en plus à moi pour les rôles de pères dans le répertoire. Pour moi, c’est une consolation, puisque je n’ai pas d’enfants – et que je ne peux pas en avoir. Bien sûr, cela ne remplacera jamais la vraie chose, mais jouer des pères au théâtre m’a aidé à renoncer à la paternité.»

Dans la production du classique de Tennessee Williams chez Duceppe, avec Maude Guérin dans le rôle de Maggie et Normand D’Amour dans celui de son mari Brick (un rôle que Michel Dumont a déjà joué en 1982), ainsi que Rita Lafontaine, Adèle Reinhardt et Alain Zouvi, Dumont va défendre Big Daddy Pollit. Un homme rustre, direct et très fortuné (il est propriétaire d’une vaste plantation de coton dans le Mississippi des années 50) qui fête ses 65 ans. Il est atteint du cancer et va bientôt mourir. Toute sa famille le sait, mais elle aime mieux le laisser dans l’ignorance et lui faire croire à une rémission.

Pendant que tout le monde ne pense qu’à l’héritage que Big Daddy va éventuellement léguer, son fils Brick n’arrive pas à faire la paix avec lui-même. Il noie dans l’alcool son dégoût de lui-même. Il se méprise pour avoir laissé mourir son meilleur ami, Skipper, après que ce dernier lui eut fait une déclaration d’amour. L’ambiguïté de la relation entre les amis et coéquipiers de football constitue la métaphore de la pièce: les désirs refoulés et inavoués tissent la toile de bien des vies.

À chacun sa vérité
Drame intense et sulfureux, La Chatte sur un toit brûlant est une des pièces de Tennessee Williams qui va le plus loin dans la cruauté verbale et psychologique. En témoigne cette réplique de la sensuelle Maggie à son mari désabusé: «On ne vit pas ensemble: on partage la même cage!» Ou celle de Big Daddy à son fils: «L’être humain est un animal égoïste qui sait qu’il va mourir, et s’il a de l’argent, il achète, achète, achète, il n’arrête pas d’acheter tout ce qui est à vendre, parce qu’au fond de lui-même, il espère de toutes ses forces qu’un bon jour, il va pouvoir s’acheter l’immortalité!»

«Tennessee Williams a écrit une pièce magnifique sur le mensonge, affirme Michel Dumont. Comme beaucoup de gens, cette famille choisit de vivre dans le mensonge et les faux-semblants plutôt que d’affronter la vérité. Parce que la vérité fait souvent très mal. Tout le monde, un jour ou l’autre, a préféré laisser un être cher se bercer d’illusions, par peur de lui faire mal. C’est en cela que la confrontation entre Big Daddy et son fils Brick est intéressante. Le père scandalise son fils en dévoilant ses secrets les plus cachés. Ensuite, ce sera au tour de Brick de lui exposer l’hypocrisie des siens sur sa maladie.»

Comme disait Pirandello, on a souvent chacun sa vérité… Michel Dumont s’est penché sur son passé, pour un livre d’entretiens, avec le journaliste Pierre Maisonneuve, paru récemment. «Je me suis rappelé d’un souvenir d’enfance impérissable: d’avoir écouté des opéras à la radio avec ma mère. Mais mes frères et soeurs (nous étions neuf enfants) pensent que ce n’est jamais arrivé. Mais pour moi, c’est la vérité!»

La Chatte sur un toit brûlant sera la première mise en scène de Fernand Rainville chez Duceppe. Tout comme Michel Dumont (qui signe aussi la traduction du texte de Williams avec Marc Grégoire), le metteur en scène est très familier avec le répertoire américain, bien que ce soit la première fois qu’il monte une pièce de l’auteur du Tramway nommé désir. Dans le dossier de presse, Rainville écrit avoir développé «la thématique du mensonge et de l’avidité, de même que la perte de l’enfance et la mort du rêve. Mais plus que tout, la grande force de cette pièce, c’est qu’elle permet de regarder vivre des gens sans proposer de parti pris pour les uns ou pour les autres.»

Michel Dumont commence aussi à penser à son avenir: «Je vais avoir 60 ans en 2001. Même si je suis en grande forme, je songe de plus en plus à la succession chez Duceppe. J’adore ce théâtre, et je crois que l’arrivée d’une personne plus jeune peut apporter de nouvelles idées. Pas nécessairement un directeur, peut-être un adjoint à la direction artistique. Mais je ne pars pas tout de suite. Bien que je rêve parfois à me retrouver sereinement à pêcher sur un lac tout un été…»

Du 5 avril au 13 mai
Au Théâtre Jean-Duceppe
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