Peter Brook : L'imagination au pouvoir
Scène

Peter Brook : L’imagination au pouvoir

Dans le cadre de Théâtres du Monde, la plus récente production de Peter Brook, Le Costume, sera présentée à la Maison Théâtre. Avec ce spectacle, le metteur en scène le plus célèbre d’Europe revient à un théâtre dépouillé, où la magie opère sans fards ni artifices.

«La vérité est comme un papillon attrapé au vol avec un filet: on peut le saisir quelques instants pour l’observer, mais il est préférable de le relâcher aussitôt.» Ces sages paroles sont transmises d’outre-mer au téléphone par Peter Brook. À 75 ans, celui qui a marqué le théâtre européen de l’après-guerre en signant une soixantaine de spectacles, dont certains sont toujours cités par les amateurs de théâtre (mentionnons La Conférence des oiseaux, en 1979; Le Mahabarata, en 1985; La Cerisaie, en 1988; et La Tempête, en 1990), cet homme de théâtre respecté, donc, travaille toujours avec la curiosité d’un jeune créateur: «Il faut essayer de construire des formes qui vont refléter de brefs instants de vérité, dit-il; quelques secondes ici et là. Mais la vérité avec un grand V, en art comme ailleurs, c’est une chose impossible à définir.»
Quatre ans après le très beau Oh! les beaux jours, dans le cadre de Théâtres du Monde, un deuxième spectacle signé Peter Brook, Le Costume, sera présenté à Montréal, du 3 au 6 mai, à la Maison Théâtre. Le metteur en scène anglais exilé à Paris va même accompagner la troupe de comédiens dans leur tournée au Canada.
Le Costume a été créé en français, l’an dernier, au Théâtre des Bouffes du Nord à Paris, là où est installé depuis 1974 le célèbre Centre international de création théâtrale fondé par Brook et où travaillent des comédiens venus de tous les horizons et continents. La version originale anglaise, The Suit, a été créée en 1995 par l’écrivain Mothobi Mutloatse et par le metteur en scène Barney Simon, tous les deux Sud-Africains. Cette version sera présentée d’ailleurs cette semaine au World Stage Festival à Toronto. La pièce s’inspire d’un conte de Can Themba, un brillant journaliste et écrivain de Sophiatown (Soweto). Dans les années 50, Themba animait des shabeens, les cafés clandestins de ce township où fleurissait la bohème artistique, à l’instar du Saint-Germain-des-Prés de la même époque… «La misère en plus», rappelle Peer Brook. Quand Sophiatown a été rasée par les bulldozers, suivant l’ordre des autorités sud-africaines, Can Themba a fui l’apartheid et son pays. Il est décédé en exil et dans la misère en 1967.
Heureusement, son conte n’est pas tombé dans l’oubli. L’histoire très simple est celle d’un drôle de ménage entre un homme, une femme et un costume! À la suite d’un adultère, un mari jaloux ordonne à sa femme d’accrocher le costume, oublié par son amant dans leur chambre à coucher. Le complet devient donc une preuve de l’infidélité de la femme mais aussi de la jalousie obsessionnelle du mari.
Le Costume est un spectacle pour quatre acteurs avec un strict minimum d’effets scéniques. Le décor est constitué de presque rien: un lit, deux chaises, une table, un cintre à roulettes, un portemanteau et quelques accessoires. Peter Brook a privilégié la parole, le silence (qui sont liés selon lui), la gestuelle et la musique.
«J’ai voulu mettre l’être humain à l’avant-scène; les acteurs qui donnent vie à la parole, explique Peter Brook. En France, on croit à tort que le théâtre peut livrer un texte au public comme via un courrier électronique. Le texte est le moyen par lequel des êtres humains expriment des choses devant un public. Pour ça, le texte doit être en osmose avec tout le reste pour donner une impression de participation à la vie des personnages. Il faut que le spectateur ait la sensation que les mots sont créés au moment même où il les entend. Au théâtre, la pire qu’on peut faire, c’est de s’asseoir dans son fauteuil en se disant: quel beau texte!»
Avec son centre dramatique, Peter Brook a depuis longtemps noué des liens avec les gens de théâtre d’Afrique du Sud, notamment avec les membres du Market Theatre de Johannesburg, qui se sont produits en France, au Festival d’Avignon. Et le magicien du théâtre européen admire beaucoup la culture des peuples africains. «La culture africaine est aussi riche et raffinée que les grandes cultures asiatiques, estime Peter Brook. L’Occident doit respecter la rihesse et la grandeur des traditions artistiques, humaines et spirituelles en Afrique. Malgré les souffrances, il a toujours régné en Afrique du Sud une étrange douceur, un étonnant mariage entre les atrocités et la joie de vivre. Mandela en a été le symbole. Leur théâtre aussi. On y trouve une santé, un humour qui donnent de grandes espérances.»
Toutefois, Brook prévient que Le Costume n’est pas une pièce politique au premier degré. Et que même le concept de théâtre engagé ou politique ne correspond plus à notre époque. «Un metteur en scène ne monte pas une pièce pour affirmer ou démontrer quelque chose, conclut-il. Il doit faire confiance à l’imagination du public.»

Du 3 au 6 mai
À la Maison Théâtre

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