Jean-Rock Gaudreault : Avec le temps
Scène

Jean-Rock Gaudreault : Avec le temps

Joint par téléphone à Québec, où il s’est installé voilà deux ans pour un boulot à temps plein, Jean-Rock Gaudreault (né à Jonquière, diplômé de l’École nationale de théâtre) parle avec calme de sa jeune carrière d’auteur dramatique, riche d’une dizaine de textes, jalonnée de prix et de bourses, notamment pour cette seconde pièce pour enfants.

Jean-Rock Gaudreault

se réjouit, avec raison, du parcours de Mathieu trop court, François trop long. Créée en 1998 par le CNA, les Coups de théâtre et la Compagnie Jacinthe Potvin (qui signe la mise en scène et a rebaptisé sa compagnie «Mathieu, François et les autres»: bel hommage!), sa pièce s’installe la semaine prochaine à la Maison Théâtre, après avoir tourné au Québec et en France, où elle a été reçue avec enthousiasme.
Destiné aux 8-12 ans, le spectacle raconte l’histoire d’une amitié entre deux garçons: Mathieu, atteint d’une maladie qui l’isole et dont il sait qu’il va mourir, et François, déboussolé par son récent déménagement. Amer, Mathieu a peur de ne pas vieillir, car la «maladie de l’heure mange le temps que tu dois vivre», explique-t-il à son nouvel ami. Pour François, la vie devant soi est bien longue… Impatient, il trouve long le temps de grandir, craint que la fin du monde vienne avant. Esseulés tous les deux, vulnérables mais volontaires, ces enfants vont unir leurs solitudes, combattre les préjugés et apprivoiser ensemble leurs peurs: celle du temps trop court pour l’un et trop long, pour l’autre; celle de la mort et celle de la vie. «Leurs peurs sont d’égale valeur, précise l’auteur, puisque la peur ne se mesure pas.»
Joint par téléphone à Québec, où il s’est installé voilà deux ans pour un boulot à temps plein, Jean-Rock Gaudreault (né à Jonquière, diplômé de l’École nationale de théâtre) parle avec calme de sa jeune carrière d’auteur dramatique, riche d’une dizaine de textes dont deux «circulent» (outre Mathieu…, La Raccourcie a connu deux productions, par le Théâtre les Gens d’En Bas et par le Théâtre Français de Toronto), jalonnée de prix et de bourses, notamment pour cette seconde pièce pour enfants. Il dit combattre, lui aussi, la «maladie du temps»: «Je me bats contre la tendance dans la société, dans le milieu théâtral, qui veut que, dès que tu as du succès, tu sois une «nouvelle voix», tu produises, ne fasses plus que ça. Je me bats d’abord contre moi-même our résister à cela.» L’écriture de commande, ce n’est pas son truc. Lorsqu’il «les laisse partir», ses textes ont mûri tranquillement, deux ans, cinq ans… Sa blonde et lui travaillent, élèvent leurs deux jeunes enfants, vivent… Et quand il a le temps, à son rythme, il écrit. Rien ne presse, du reste: la semaine dernière, il a fêté ses 28 ans. «La dernière réplique de François, «J’ai le temps!», c’est une phrase que je me répète souvent, en pensant à tous les projets que j’entends mener!»
Pour Mathieu trop court…, l’inspiration est venue d’un reportage à la télé sur les enfants séropositifs victimes d’ostracisme aux États-Unis. Mais il a choisi de ne pas nommer la maladie pour «ne pas en faire quelque chose de clinique et d’anecdotique». Belle trouvaille que cette «maladie de l’heure», mais ce choix poétique évoque un mal bien réel: «Aujourd’hui, la maladie de l’heure, c’est vraiment le manque de temps; la société en est malade. Certains jeunes spectateurs peuvent prendre cette symbolique au pied de la lettre et en ressentir l’urgence, car ils voient leurs parents qui, toujours, sont à court de temps.»
Plutôt que sur la maladie ou la mort, il dit avoir écrit une pièce sur le rêve, l’imagination, la peine des enfants, mais aussi les jeux, la tendresse. «Je me suis laissé porter par les personnages; je les entendais bien, je les voyais. Et c’est la recherche d’action dans la simplicité qui crée la tension dramatique, comme dans La Raccourcie, d’ailleurs. Il s’agit de la rencontre de deux personnages qui doivent se dévoiler; il n’y a pas d’artifice pour créer cela. Tout le défi du metteur en scène est là; et Jacinthe Potvin l’a très bien relevé à mon sens.»
À partir d’une idée du scénographe Stéphane Roy, elle a situé la rencontre dans une piscine vide, où Mathieu se terre. Depuis la création, les rôles sont défendus par les deux mêmes comédiens: Louis-Martin Despa (Mathieu) et Gabriel Sabourin (François). Les représentations connaissent beaucoup de succès, ici comme en Frace. Et personne, assure l’auteur, n’a été choqué qu’on aborde la mort dans une pièce pour enfants: «C’est davantage la thématique du temps, dans cette histoire, qui les touche. La peur de manquer de temps, c’est quelque chose de très lourd à porter. Les enfants ressortent du spectacle en disant: "J’ai le temps!" Pour moi, c’est déjà ça.» J’ajouterais: c’est beaucoup.

Du 9 au 21 mai
À la Maison Théâtre

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