Christiane Pasquier : Quatuor d'actrices
Scène

Christiane Pasquier : Quatuor d’actrices

Après Avignon, Le Petit Köchel, une pièce tragique et ludique signée Normand Chaurette, est présentée à Montréal. Sur la scène, quatre femmes et quatre voix, dont celle, rare, de CHRISTIANE PASQUIER.

«On fait un métier dangereux, nous, les acteurs. On est les funambules de la parole», note Christiane Pasquier. Cette définition de l’art de l’interprète semble bien convenir au Petit Köchel, le nouveau texte de Normand Chaurette bâti sur le modèle d’une sonate de Mozart, et dans lequel la comédienne joue la partition, très mélancolique, du violoncelle. Louise Laprade, Ginette Morin et Louise Bombardier complètent ce quatuor à cordes tragico-ludique.

«Il faut être vigilantes, parce que c’est réglé au quart de poil, précise Christiane Pasquier. Ça demande beaucoup de concentration, de rigueur. Et on est vraiment très liées: s’il y a un élément du quatuor qui fait défaut, ça se répercute sur les trois autres.» Créé cet été au Festival d’Avignon (la réalisation d’un rêve pour la comédienne: «En Avignon, durant cette période-là, c’est comme s’il n’y avait que ça dans le monde, le théâtre!»), dans une mise en scène de Denis Marleau, Le Petit Köchel prend l’affiche la semaine prochaine au Théâtre d’Aujourd’hui.

«C’est une pièce sur la mort, la répétition, le temps, explique la comédienne. Et ça pose énormément de questions à la fois, il y a plusieurs strates. On peut dire que c’est une mise en abyme de l’acte de jouer au théâtre et de répéter. Les personnages sont peut-être des mortes qui jouent des vivantes; ou alors des vivantes qui jouent des mortes… Ici, Chaurette essaie de sublimer la mort, de prolonger la vie de ses personnages à travers un rituel. Dans le sens qu’un personnage de théâtre continue de vivre au-delà de la mort.

«C’est très mystérieux, l’écriture de Normand Chaurette, finalement. Mystérieux pour le public, et pour les acteurs. Ça crée des impressions, ça nous amène dans des zones un peu troubles de nous-mêmes, pas juste les siennes – et Dieu sait que son univers n’en est pas dépourvu! C’est quelque chose, l’univers de Chaurette. C’est entre la vie et la mort, le dit et le non-dit, entre l’amour et la haine.»

Dan le dossier de presse, l’auteur du Passage de l’Indiana explique que sa pièce est «une métaphore des grands secrets douloureux qui habitent les humains», mais à travers un jeu. Ce texte, dont le motif central est la répétition, aborde notamment un tabou: le cannibalisme… Un soir d’Halloween, deux couples de soeurs – des musiciennes et des musicologues – sont réunies pour discuter du sort de «leur» fils, caché dans la cave. L’enfant annonce son désir de se pendre, mais il pose deux horribles conditions…

Après les mères éplorées de Stabat Mater II, Normand Chaurette fait vivre des génitrices bien différentes, qui ont préféré Mozart à leur progéniture. La pièce oppose maternité et art. «L’idée est omniprésente dans le texte qu’une génitrice est privée plus ou moins de son art, ou est contrainte de le faire d’une façon inférieure. Pour conserver leur monde musical, les soeurs ont dû sacrifier quelque chose: le fils. La création humaine est passée après la création artistique. C’est une idée qui, moi, m’est familière. Je me suis toujours dit que je ne serais pas capable d’avoir des enfants et, en même temps, de faire mon métier. J’admire énormément les femmes qui sont capables de faire les deux – j’en reviens pas! Moi, je me laisse facilement submerger par l’insécurité. Par exemple, à l’approche d’une première de théâtre, je ne suis pas du tout dans mon état normal. Tout est fait en fonction du spectacle, et le reste du quotidien est réduit à son minimum, c’est épouvantable… (rires)»

Répétition d’orchestre
Le Petit Köchel est joué sobrement («On ne donne aucune couleur personnelle, c’est ça le but de l’exercice. Ce sont des mots qu’on anime, c’est tout», explique Christiane Pasquier) et dans le dénuement, à la façon de quatre actrices en répétition assises sur des chaises. Denis Marleau a dirigé la partition «comme un chef d’orchestre».

Mine de rien, la comédienne – trop rare sur scène – noue ici une troisième collaboration avec le directeur du Théâtre Ubu (ele était de Roberto Zucco, en 93, et de Lulu, en 96). «C’est exigeant, mais personne ne va s’en plaindre. À mesure qu’on avance dans ce métier, on cherche toujours des défis plus grands, ou l’on cherche à approfondir certaines choses, alors on devient exigeant envers soi-même. C’est une qualité. Et ce qu’aime Denis Marleau, et que j’aime beaucoup moi aussi, c’est la neutralité du point de départ. Quand on commence à travailler sur un texte, il n’y a jamais de ton. Avoir un ton tout de suite pour un texte, c’est comme le juger d’emblée, préjuger déjà de toute la démarche. Lui, il met les acteurs au neutre – ce qui peut être déconcertant pour certains -, puis il construit.

Moi, j’ai beaucoup appris comme ça. D’abord, un acteur n’a pas besoin de faire 56 000 affaires pour exister. Mais ça, malheureusement, par insécurité, on ne le sait pas. On pense qu’il faut faire de l’effet, surtout quand on est jeune. Alors que l’être est déjà très fort, en soi. Quand on est là, dans un espace-temps réel, déjà, ça a une puissance.»

La digne et juste interprète du coryphée – dans Électre, à l’Espace Go, au printemps dernier – adore fouiller dans ce dépouillement du jeu. «Plus c’est sobre, plus j’aime ça, plus je trouve qu’on peut aller en profondeur. Et plus on va loin, moins on en fait.»

Du 12 au 30 septembre
Au Théâtre d’Aujourd’hui

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