José Navas : La course autour du monde
Scène

José Navas : La course autour du monde

Classé parmi les meilleurs danseurs au monde, José Navas est aussi, selon le magazine français L’Express, une des 100 personnalités qui font bouger le Québec. Le chorégraphe inaugure la saison de l’Agora de la danse avec un spectacle qui remonte aux sources de son enfance.

On n’avait pas vu José Navas sur une scène montréalaise depuis deux ans, et voilà que le chouchou de la danse québécoise ressurgit deux fois plutôt qu’une. La semaine dernière, il a organisé un premier séminaire chorégraphique à l’Agora de la danse avec des artistes d’ici et d’ailleurs. Du 12 au 23 septembre, toujours à l’Agora de la danse, le chorégraphe danseur reviendra à la charge avec une oeuvre créée par étapes à Liverpool, Amsterdam, Banff et Budapest, rien de moins!
Perfume de Gardenias inaugurera la saison de l’Agora après une première mondiale à Budapest, à l’automne 1999, suivie d’une première nord-américaine à Ottawa, en juin dernier. «En raison de la complexité du projet, j’avais pour la première fois un concept clair dès le début de la création. J’avais identifié les compositeurs avec lesquels je voulais travailler et ce à quoi ma pièce allait ressembler visuellement», explique-t-il attablé dans un café de l’avenue du Mont-Royal. «La seule chose qui ait changé depuis le début, c’est le choix des danseurs. Quelques-uns, comme Dominique Porte, se sont désistés pour s’investir dans leurs propres projets.»

Aujourd’hui, la distribution comprend Tony Chong (autrefois chez Marie Chouinard), Catherine Jodoin, Amélie Paquette, les danseurs hollandais d’origine vénézuélienne Alfonso Perez et Maria Ines Villas, ainsi que José Navas, qui ne souhaitait pourtant pas en faire partie. Mais il n’a pas eu le choix: «Les interprètes acceptaient de participer uniquement si je dansais.» On comprend leur insistance: formé à l’école de ballet à Caracas, au Venezuela, puis à l’école de Merce Cunningham, à New York, le danseur maîtrise une technique unique et dégage un puissant charisme sur scène. Le magazine allemand Ballet Tanz Aktuell International l’a d’ailleurs classé parmi les meilleurs danseurs au monde.

De toute manière, José Navas ne veut pas délaisser sa carrière de danseur solo, entamée voilà une dizaine d’années. Selon l’artiste de 35 ans il lui reste encore plusieurs avenues à explorer. La preuve: parallèlement à la création de Perfume de Gardenias, il a chorégraphié un solo d’une heure en collaboration avec le compositeur américain Walter Haman. Dans les prochains mois, il livrera en tournée Perfume de Gardenias et Projet Haman/Navas. Lui qui se promet depuis trois ans d’arrêter de prendre les bouchées doubles, le voilà bien mal parti! «C’est vrai, reconnaît-il en pouffant de rire. Mais contrairement à mes tournées précédentes, j’ai comprimé les allers et retours. Au lieu de partir toute une année, je quitte quelques semaines seulement.»

Chose sûre, l’artiste à l’appétit boulimique a ralenti sa cadence de travail. C’est qu’il avait perdu de vue sa vie privée dans le tourbillon des tournées internationales. À un moment donné, il passait plus de temps en Hollande et en Belgique qu’au Québec. «J’ai eu besoin d’arrêter, de prendre du temps pour moi. J’ai donc restructuré ma vie: j’ai maintenant un chum… et un chien. C’est vrai que j’ai déjà envisagé de vivre en Europe. Je ne pouvais pas cependant me résigner à l’idée de quitter ma ville d’adoption», dit celui qui voyage maintenant avec les passeports canadien et vénézuélien. «Et puis, j’aime la force et le dynamisme de la danse d’ici. Elle sait résister aux modes. Ce n’est pas comme en Europe où des chorégraphes font de l’anti-danse juste pour être cool. Ça, ça m’agace énormément!»
La danse de Navas est l’antithèse de l’anti-danse. L’originalité et la clarté du propos, la sensualité de la ligne chorégraphique, la beauté de la scénographie et, surtout, l’admirable présence de Navas sur scène séduisent autant les publics américain et canadien qu’européen. «C’est la preuve que mon langage est universel», dit-il. Paradoxe: seuls les Latinos se montrent indifférents à sa danse qu’ils jugent trop abstraite.

Allez comprendre quelque chose: au Québec, on note l’influence new-yorkaise dans ses mouvements alors que les Européens y décèlent la touche québécoise. Et l’influenc sud-américaine? Selon son collègue et compatriote Luis Viana, elle se remarque subtilement dans sa façon de bouger et dans son approche artistique. «Juste le fait de choisir le titre d’une chanson d’amour sud-américaine pour nommer sa pièce indique un sentiment de nostalgie propre aux Latinos.»

Et qu’en pense le principal intéressé? «À force de voir des spectacles d’Édouard Lock, de Marie Chouinard, de Ginette Laurin, de Jean-Pierre Perreault ou encore de Robert Lepage, ça ne peut faire autrement que d’agir sur moi. Mais ma principale influence demeure New York.»

Geishas et danseurs: même combat!
Salué par la critique pour les qualités chorégraphiques qui ont contribué à bâtir la réputation de Navas, Perfume de Gardenias aborde des thèmes chers au chorégraphe. «Je parle d’amour, de désir et de nudité dans un contexte très organisé et très esthétique.» José Navas s’est inspiré d’une chanson que lui fredonnait son père lorsqu’il était tout petit. «C’est une chanson d’amour d’une incroyable sensualité: le mec dit que le parfum de la bouche de son amante le rend fou de jalousie. Quand je pense que mon père me chantait ça, dit-il en rigolant. Aujourd’hui encore, je me surprends à la chantonner.»

Autre source d’inspiration: l’univers des geishas dont le chorégraphe admire la beauté, la rigueur et le respect des traditions, des traits communs à l’univers des danseurs. «Comme elles, on a une manière d’être, de manger, de marcher, etc. On passe à travers toutes sortes de tortures physiques pour atteindre la beauté ultime. Et, comme les geishas, on connaît une courte carrière.»

C’est la première fois que le chorégraphe sollicite la collaboration d’artistes étrangers. Il a travaillé avec le compositeur américain Bob Ostergag sans jamais l’avoir rencontré. Pendant deux ans, ils ont communiqué par télécopieur, courriel et téléphone. «En 1996, un producteur belge m’avait proposé de monter une chorégraphie. Il m’avait alors suggéré le nom du compositeur de San Francisco. e projet n’a pas marché, mais j’ai gardé l’idée de travailler avec Bob, car j’adore sa musique. C’est sophistiqué, unique et parfois choquant.» La partie musicale du Belge Pierre Berthet est parvenue au chorégraphe comme un cadeau du ciel. «Un jour, Pierre m’a envoyé une musique qu’il avait créée en s’inspirant de mon style chorégraphique et m’a dit d’en faire ce que je voulais. Dès la première écoute, je savais qu’elle convenait à ma création.» Les deux autres compositeurs sont le Viennois Joao de Bruco; et le Québécois Laurent Maslé, un collaborateur des premières heures. C’est à lui que revient la tâche délicate d’uniformiser le travail de ses collègues.

Tout petit, la planète
L’attrait de José Navas pour le décloisonnement de son art lui vient sans doute de son expérience internationale. Ainsi, le séminaire chorégraphique n’est qu’une réplique de ce qui se déroule en Europe: chorégraphes et compositeurs se jumellent en prévision de créer une courte chorégraphie en l’espace de 24 heures. Le public est par la suite invité à livrer ses impressions sur le travail des tandems. Selon José Navas, cette formule vise à confronter la vision des artistes québécois avec celles de leurs collègues européens et du public, et, du coup, à revigorer le milieu de la danse. «C’est sûr qu’organiser un laboratoire chorégraphique, c’est compliqué et ça coûte cher. Ces temps-ci, j’agis comme chauffeur et je fais des lunchs. Mais je me dis qu’un jour, l’événement deviendra majeur.»
Plus encore, la mise sur pied du séminaire chorégraphique permet de rendre la politesse aux Européens qui invitent des chorégraphes québécois (José Navas, Benoît Lachambre, Lynda Gaudreau, Ginette Laurin, Édouard Lock, notamment) à des résidences de création et à des séminaires de toutes sortes. Ainsi, plus de la moitié du budget de la dernière création de José Navas provient de producteurs hongrois, néerlandais, britanniques, américains et autrichiens. Une aide qui s’est traduite en espèces sonnantes ou en prêt desalle de répétition et en aide technique, ou encore en remboursement de frais d’hébergement. «L’avantage, c’est qu’on n’a plus à se préoccuper des détails de logistique, on est donc libre de créer», dit le chorégraphe.

Au Québec, malgré la volonté des diffuseurs et des compagnies de danse de coproduire des spectacles étrangers, on en est encore au stade de la diffusion. «Par contre, l’argent investi dans la promotion équivaut souvent à la valeur financière des résidences européennes», croit Diane Boucher, vice-présidente du Festival international de nouvelle danse.
Si, à Montréal, des fans saluent José Navas dans la rue, la partie n’est jamais gagnée d’avance. «La popularité, ça va et ça vient. Si le public ne me suit pas, ma vie n’est pas en jeu», dit-il en haussant les épaules. Mais, du même souffle, il prédit que Perfume de Gardenias aura une longue vie. Vous ai-je dit que le chorégraphe nourrissait une confiance inébranlable en lui-même? Il vous répondrait sans doute qu’il croit plutôt en la vie!

Perfume de Gardenias
Du 12 au 23 septembre
À l’Agora de la danse



Parcours d’un artiste doué

Dans la jeune vingtaine, José Navas quitte Caracas pour entreprendre une carrière de danseur à New York. Après une année de vaches maigres, Navas est engagé comme danseur chez Lucinda Childs puis par divers chorégraphes new-yorkais. Au début des années 90, avec son compagnon le chorégraphe William Douglas, il choisit de vivre à Montréal pour approfondir la dimension dramatique de son travail. Navas danse pour Marie Chouinard et William Douglas. Entre-temps, il livre ses premiers solos à Tangente. C’est au décès de son compagnon, en 1996, qu’il ressent l’urgence de se donner à fond dans ses projets. C’est à ce moment qu’il fonde la compagnie Flak et multiplie ses séjours de l’autre côté de l’Atlantique. Malgré le foisonnement de compagnies européennes, Navas s distingue dans les festivals de danse et gagne peu à peu la confiance des producteurs. «Si je voulais me faire un nom, je devais déterminer ma spécificité et m’y donner à 100 %.» Le magazine français L’Express l’a récemment désigné comme faisant partie des 100 personnalités qui font bouger le Québec. (L. B)