Ce soir, on improvise : Panne de vie
Scène

Ce soir, on improvise : Panne de vie

L’actuelle production de Ce soir, on improvise, au TNM, ne résout pas vraiment le défi posé par la pièce de Luigi Pirandello. Quand le théâtre crée davantage d’ennui que de  vie.

Pièce qui remet en question les ficelles du théâtre, histoire d’un metteur en scène qui perd le contrôle, Ce soir, on improvise n’est pas sans poser elle-même quelques défis de taille à son "vrai" metteur en scène. D’autant que la révolution théâtrale amorcée par le grand Luigi Pirandello a été rejointe par une époque qui cultive désormais à loisir la confusion entre fiction et réalité. Et où l’on n’aime au plus haut point l’apparence de la réalité dans la fiction, et l’émergence de la fiction dans la réalité…

On dit de cette oeuvre écrite en 1928, troisième pièce de la "trilogie du théâtre dans le théâtre", qu’elle est la quintessence du "pirandellisme". Arbitrant un conflit entre les comédiens et le metteur en scène, opposant le mouvement de la vie à la construction de l’art, Ce soir, on improvise met à nu les conventions scéniques. Singulière pièce qui se démasque elle-même constamment, qui chemine en deux heures de la comédie de la distanciation au sombre drame, et où les interventions maniaques d’un metteur en scène viennent régulièrement bousculer la représentation; où le théâtre, en un mot, nuit au Théâtre, c’est-à-dire à l’illusion de la réalité.

D’emblée, le metteur en scène Hinkfuss (Marc Béland, parfait de suffisante autorité) annonce au public qu’il aura droit à une soirée d’improvisation "à partir" d’un texte de Pirandello, spectacle dont il revendique la paternité. C’était sans tenir compte d’une rébellion des acteurs, qui, à défaut de pouvoir jouer une pièce écrite, aimeraient au moins que l’encombrant deus ex machina leur permette de "vivre" leur personnage. La pièce se déroule ainsi, de petits bouts de représentation en décrochages, alors que les comédiens laissent tomber le masque – et l’accent – de leurs personnages, pour retrouver leur parlure québécoise et leur nom – ceux des vrais acteurs, non des personnages-comédiens. Vous me suivez?

Les auteurs du "texte français" présenté au TNM, Diane Pavlovic et Claude Poissant – qui pose sa patte de metteur en scène sur la pièce pour la seconde fois: la première, c’était au Trident, à Québec, en 1994 -, ont eux-mêmes pris quelques libertés avec ce texte-fleuve, faisant notamment l’économie du faux public (tout en ajoutant quelques pointes au vrai), et d’un entracte où les comédiens devaient se mêler aux spectateurs. Mais ce n’est pas suffisant pour relever un spectacle qui paraît malgré tout longuet…

La production ne résout pas vraiment le défi posé par la pièce, série d’allers et retours entre deux niveaux de fiction (dont un présenté comme réel): jouer sur les décrochages et la transparence des conventions théâtrales, tout en donnant pourtant des accents prenants au récit auquel les personnages-comédiens tentent d’insuffler de la vie. D’un côté, bien rendus, le bas-les-masques auquel se livrent les acteurs, les nombreux jeux de piste entre le théâtre et la vie amusent sans vraiment étonner (on en a vu d’autres).

De l’autre, l’histoire de cette famille bruyante, à la mode italienne (chants, rires cris, engueulades), qui "se donne en spectacle", au grand scandale d’une petite ville sicilienne puritaine, ne soutient guère l’intérêt. Et ce, malgré de bonnes performances: Sophie Clément, truculente en mamma au caractère bouillant, et l’étonnant Marc Gélinas, une forte nature même si, avec sa voix grasseyante, il "avale" un peu certaines de ses répliques. Et en dépit aussi de quelques scènes réussies, dont cette séance impromptue d’Il Trovatore – énième niveau de représentation -, qui révèle de jolies voix (celles de Kathleen Fortin et de Simone Chartrand), et une couleur, une vigueur qui paraissent manquer au spectacle, la plupart du temps. Joué dans un intelligent décor de David Gaucher, qui accuse la nature trompe-l’oeil du théâtre, mais sous des éclairages souvent sombres, la pièce semble en effet en panne de vie.
Jusqu’à l’ultime jeu de miroir de la fin, alors qu’une fois le vilain metteur en scène chassé, les comédiens mettent en place une représentation qui devient une métaphore de ce qu’ils viennent de vivre – et qui peut aussi préfigurer le fascisme italien: incarnation extrême de la jalousie pathologique, un jeune officier (David Savard, avec un jeu plein de fougue) régente de façon tyrannique la vie de son épouse (Simone Chartrand, sensible), lui ôtant toute liberté, la coupant de la vie elle-même…
Sans que le talent des interprètes ne soit vraiment en cause, cette scène asphyxiante ne touche pas comme elle le devrait. Comme si les comédiens étaient piégés en quelque sorte par le constat pirandellien sur l’impossibilité pour le théâtre de capter le mouvement de la vie. Prisonniers d’un concept.

"Un peu de vie est né ce soir", conclut le faux metteur en scène à la fin de Ce soir, on improvise. Hélas, pas beaucoup…

Jusqu’au 15 octobre
Au TNM
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