La Reine morte : Passage royal
Scène

La Reine morte : Passage royal

Avec La Reine morte, le Théâtre Denise-Pelletier amorce la saison de façon royale, en nous faisant découvrir l’une des plus belles pièces du répertoire français. Hélas, la production n’est pas toujours à la hauteur du texte.

Hamlet, Antigone, Caligula… Les grands personnages du répertoire sont des êtres d’extrême lucidité et en même pétris de contradictions. Ferrante n’échappe pas à cette définition. Ce "roi douleur" à la fois cynique et sensible, machiavélique et humain, estime qu’une âme vaut un royaume. Cela ne l’empêche pas de faire assassiner sa brue par devoir d’État.

D’abord, merci au directeur artistique du Théâtre Denise-Pelletier, Pierre Rousseau, d’avoir programmé La Reine morte, une pièce un peu oubliée d’Henry de Montherlant (la dernière fois qu’elle a été produite à Montréal, c’était au Rideau Vert, en 1958, avec feu François Rozet dans le rôle de Ferrante). Car rappelons que cet auteur, décédé en 1972, a été un classique de son vivant, pour ensuite connaître un purgatoire littéraire dans les années 70.

Aujourd’hui encore, Montherlant est victime de préjugés tenaces. La production présentée au Théâtre Denise-Pelletier dans une mise en scène (imparfaite) de Denise Guilbault a surtout le mérite de nous faire (re)découvrir ce grand texte du répertoire de ce siècle.

Au Portugal, à une époque imprécise (il mentionne simplement "autrefois"), le roi Ferrante veut marier son fils, le prince héritier Pedro, à l’infante de Navarre, qu’il admire pour son "esprit viril". Or l’héritier a déjà épousé secrètement la belle et vertueuse Inès de Castro. En dépit des pressions paternelles, Pedro refuse de faire annuler le mariage.

La noblesse des sentiments
Par-delà le conflit entre la raison d’État et la passion amoureuse (qui fait penser à celle du duc de Windsor préférant abdiquer plutôt que régner sans la femme qu’il aime), La Reine morte est une oeuvre magistrale sur la condition humaine. Montherlant a écrit cette pièce pour la Comédie-Française, en 1941, alors que la France était occupée depuis un an par l’Allemagne nazie. L’auteur témoigne d’une époque de grande noirceur pour l’humanité. Le portrait qu’il en trace est donc très sombre, voire désespéré – en apprenant qu’Inès est enceinte, Ferrante s’écrie: "Un enfant, encore un enfant. Ce ne sera donc jamais fini!" Et plus loin: "Encore un printemps à recommencer, et à recommencer moins bien!".

Néanmoins, ce drame est aussi traversé par des éclairs de lucidité, des lueurs d’espoir. Comme si, au milieu d’une Europe déchirée par l’une des pires guerres qu’elle ait connues, Montherlant avait voulu surmonter le pessimisme ambiant. Il démontre, avec La Reine morte, que tout le malheur des hommes vient du fait qu’ils se condamnent à vivre sous la cuirasse de leur orgueil. Il a créé une oeuvre dans laquelle force et faiblesse, vertu et vice, passion et raison ont parfois la même couleur. Tout le génie de Montherlant est là: dans l’art d’exposer nos contradictions sans jamais juger nos fautes. Dans sa manière de rendre l’âme humaine plus noble, finalement.

Denise Guilbault a su couper avec intelligence dans les fioritures pour rendre ce drame plus accessible au public très jeune du TDP. Même si cela peut sembler téméraire de couper dans un matériau si riche. Malheureusement, la proposition scénographique de Michel Robidas (le costumier de Julie Snyder et Diane Dufresne) est lourde et inutile. Son gros décor postmoderne qui rappelle les tics des années 80 rend les déplacements des comédiens périlleux (une fente divise la scène au beau milieu) et complique les interactions entre les personnages.

Du côté de la distribution, le Ferrante René Gagnon a des accents de modernité. Solide malgré des maladresses d’un soir de première, son jeu devient très émouvant à la fin alors qu’il doit mourir sur scène et enlever son armure exposant, au bout de sa route, la terrible douleur du roi. Il n’est pas facile de bien mourir sur scène, et ici, monsieur Gagnon le fait avec brio. En don Pedro, Hugues Frenette est un jeune premier presque parfait: c’est-à-dire sensuel et sensible. Éric Cabana, fort convaincant, compose un inquiétant conseiller. Et le jeune Louis-Olivier Mauffette (que je n’avais jamais vu au théâtre) incarne avec une belle assurance le premier ministre.

Les comédiennes, hélas, m’ont semblé plus faibles. Après avoir complètement raté sa scène d’ouverture, Isabelle Roy s’est réajustée par la suite dans la confrontation entre l’infante et Inès. Cette dernière est campée avec charme mais de façon unidimensionnelle par Noémie Godin-Vigneau.

Et qui dira les torts de la télévision sur la technique vocale (ainsi que corporelle) de certains comédiens dont les répliques se perdent à la première rangée. Un grand acteur dramatique peut chuchoter une répl1que sans qu’aucun des 880 spectateurs du TDP n’en perde une syllabe…

Jusqu’au 21 octobre
Au Théâtre Denise-Pelletier