Ultima Vez : Vie intérieure
Scène

Ultima Vez : Vie intérieure

Montréal accueille pour la troisième fois une oeuvre de l’important chorégraphe belge Wim Vandekeybus.

Montréal accueille pour la troisième fois une oeuvre de l’important chorégraphe belge Wim Vandekeybus. Les aficionados se souviendront peut-être que la dernière visite de sa compagnie Ultima Vez (Dernière fois), fondée en 1986, remonte à l’automne 96, avec le spectacle Mountains Made of Barking. Sa nouvelle chorégraphie, In Spite of Wishing and Wanting, sera présentée les 12 et 13 octobre à la salle Pierre-Mercure, dans le cadre de la série Danse Danse.

Avec In Spite of Wishing and Wanting, créée en mars 1999 en Italie, Vandekeybus a voulu travailler sur cette force intangible qu’est le désir. Mais il a vite réalisé que le désir était aussi difficile à exprimer qu’à combler. "C’est pour ça que j’ai surtout cherché dans l’inconscient, dans le rêve, dans la position du sommeil, explique le chorégraphe, à l’occasion d’une (courte) entrevue téléphonique. Pendant la nuit, on exprime peut-être de façon plus évidente nos désirs profonds, nos frustrations. Pour moi, le parcours du désir lui-même est plus important que sa satisfaction."

Pour la première fois, le chorégraphe ne dirige que des danseurs masculins, histoire de ne pas réduire le désir – pris ici dans un sens plus large -, à sa stricte dimension charnelle circulant entre hommes et femmes. Onze interprètes (dont un aveugle, le Belge d’origine marocaine Saïd Gharbi, qui collabore déjà à un cinquième show d’Ultima Vez) que Vandekeybus appelle aussi ses "assistants". "On a créé un monde avec plein de choses, une atmosphère très ouverte. Il y a des scènes très tendres, d’autres, très directes; c’est comme des piazzas italiana (des places italiennes): on se bat, mais après, on s’embrasse." Louangeurs, certains critiques ont souligné la fureur, la grande énergie qui émane de In Spite of Wishing and Wanting, mais aussi son caractère fantastique.

En sus de ce flux d’énergie uniquement masculine – mais qui n’est pas sans faire place à la sensibilité -, ce nouveau spectacle se distingue par une influence théâtrale plus marquée. Les créations de l’artiste belge comportent toujours "un fond théâtral". Elles intègrent danse, théâtre, cinéma, et puisent souvent leur matière dans des sources littéraires.
Cette fois, la pièce incorpore un court métrage "très surréaliste", The Last Words, tourné par le chorégraphe lui-même. Inspiré d’une nouvelle de l’excellent auteur argentin Julio Cortazar, le film met en vedette un homme qui vend des cris, des émotions, des derniers mots, dans la rue (!) "Les danseurs apparaissent dans le film, comme si c’était un rêve commun à eux." In Spite of Wishing and Wanting bénéficie en prime d’une trame sonore signée par nulle autre que David Byrne, des feux Talking Heads, qui "a travaillé pendant les répétitions et beaucoup influencé" la création.

Très éclatées, les oeuvres de Vandekeybus laissent voir moult actions en même temps. "Oui, elles sont assez chargées, confirme le principal intéressé. Ce n’est pas une histoire, c’est vraiment un voyage entre la nuit et le jour. Il faut séduire les gens, les prendre très doucement sans qu’ils en aient conscience, et les emmener ailleurs à la fin, qu’ils se réveillent presque en disant: "Je ne me suis pas senti voyager, mais je suis autre part." Il faut être très concret dans le rêve. Parce que les rêves sont plus précis que la réalité. Les miens, en tout cas… Je ne veux pas que les gens regardent mon rêve. Ça doit être comme si les spectateurs eux-mêmes rêvaient."

Autodidacte, comédien, photographe, cinéaste, le chorégraphe ne présente pas un parcours classique. En quoi est-ce que ça modifie sa façon de créer? "Je ne pars jamais d’un mouvement technique, précise-t-il. Je pars beaucoup plus d’un état intérieur, ou d’un réflexe, ou d’une pulsion animale. Par exemple, dans la première scène d’In Spite of Wishing and Wanting, tous les danseurs jouent des chevaux. C’est quelque chose qui m’est très personnel: j’ai été élevé dans une ferme, mon père était vétérinaire, on avait plein de chevaux. Et quand j’étais petit et qu’il pleuvait trop pour jouer avec les chevaux, on s’amusait à incarner le cavalier et le cheval dans le même corps. Un cheval, ça n’a pas de désir, il a faim ou soif: c’est beaucoup plus lié à la nature."

Wim Vandekeybus s’intéresse depuis toujours à l’instinct dans le mouvement, et il y travaille encore, mais désormais sous une autre forme. Dans ses premières pièces, le chorégraphe flamand confrontait volontiers le corps de ses danseurs à des situations de péril physique, avec, par exemple, des briques revolant au-dessus de leurs têtes… Aujourd’hui, le risque est surtout d’ordre intérieur. "Je pense que dans In Spite…, c’est davantage la tension psychologique qui est très forte; l’émotion est beaucoup plus dangereuse que la danse elle-même. Bien sûr, il y a encore des choses un peu dangereuses, mais ce n’est pas le danger que je cherche. L’intensité, plutôt."

L’ancien étudiant en psychologie voit dans la danse un excellent moyen pour mieux connaître l’être, pour sonder son état intérieur. "De voir quelqu’un fatigué, transpirant, dans un état fragile, dans une situation où il n’est pas en repos, où il vit vraiment. C’est presque comme un battement de coeur: même si l’on dort, même si l’on est inconscient, le coeur continue à pomper. C’est cette chose-là, peut-être, que je recherche." Cette pulsation de vie.

Les 12 et 13 octobre
À la salle Pierre-Mercure du
Centre Pierre-Péladeau

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