Claude Lemieux : La précarité des rêves
Scène

Claude Lemieux : La précarité des rêves

En mettant en scène la tragi-comédie de Francis Monmart, Claude Lemieux renoue lui-même, d’une certaine façon, avec un cher disparu.

Tapage nocturne

orchestre une étrange confrontation entre un homme mort et son fils qui a pénétré nuitamment, par effraction, dans le salon mortuaire où il est exposé. Dernière chance pour le duo de mettre cartes sur table, d’échanger secrets et confidences… En mettant en scène la tragi-comédie de Francis Monmart, Claude Lemieux renoue lui-même, d’une certaine façon, avec un cher disparu.

Il y a quelques années, Monmart lui avait fait lire Tapage nocturne, en le pressentant pour jouer le personnage du père. Malgré l’intérêt de Claude Lemieux, les choses en étaient restées là. Aujourd’hui, le Groupe de la Veillée exhume ce texte inédit d’un auteur fauché prématurément l’an dernier, à l’âge de 46 ans. Un touche-à-tout de la chose théâtrale, dont deux des pièces ont déjà été montées par la compagnie qu’il codirigeait, Les Trois Arcs: Les Nuits de la liberté, et l’encensé L’Ange et le Corbeau, créée au Gesù en 1995. "Au théâtre, c’est la fragilité des êtres et la précarité de leurs rêves qu’il m’importe de voir et d’atteindre", écrivait l’auteur dans Jeu.

"Il y a ici quelque chose de très tendre, car Francis Monmart était quelqu’un que j’aimais beaucoup, un être très important dans ma vie, confie Claude Lemieux. Ça me faisait un immense plaisir de penser que j’allais monter un de ses textes. Que j’allais donc le rejoindre encore un moment, par le biais de cette pièce. C’est vraiment une façon de lui parler. Et il y a des instants où je lui demande de m’inspirer un peu, d’essayer de mieux comprendre le texte, ou d’en sortir des choses dont je pense qu’il avait l’intuition, et que j’ai essayé de pousser."

Le metteur en scène a été séduit par la prémisse fantastique (réelle? imaginée par le fils?: le spectacle laisse planer le doute) de la pièce: un face-à-face entre un vivant, jeune "trentaine", en état de crise aiguë par rapport à son existence; et son paternel décédé, à qui il a besoin de poser d’ultimes questions. "Mais ce qui m’est apparu crucial dans le texte, et qui n’était pas évident à la première lecture, c’est le thème du passage." Tapage nocturne traite de deux étapes importantes. Le passage vers la maturité pour le fils, "pas sorti d’une certaine adolescence", qui assume difficilement sa vie et sa propre paternité imminente. Quant au père, cet affrontement avec fiston, qui culmine par la révélation d’un secret honteux, va lui permettre de passer de la mort à l’au-delà, quel qu’il soit…

Côté distribution, Lemieux a joué sur un contraste physique intéressant: le plutôt frêle Luc Morissette (qui incarnait Van Gogh dans L’Ange et le Corbeau) interprète le rôle du père fort, tandis que le costaud Diego Thornton campe le fils vulnérable. "Je pense que le fils est une image très moderne de la difficulté des jeunes hommes à être masculins sans être des machos, à être en relation avec leur sensibilité sans avoir l’impression qu’ils sont à côté de leur masculinité. Les hommes se cherchent un modèle. Et Tapage nocturne est un texte très sensible, très délicat, qui questionne beaucoup, autant l’idée de passage, la relation père-fils ou la condition masculine."

Lui-même engagé dans une profonde réflexion par rapport au travail de l’acteur, Claude Lemieux considère le théâtre comme un lieu propice où poser des questions essentielles sur la vie. "Avec ce spectacle, je veux ramener les gens à leur propre vie, conclut le metteur en scène, très "habité" par la pièce. Je veux qu’ils s’interrogent sur leur vie, sur leurs relations à eux-mêmes, à leur travail, à la mort, à leurs parents…"

Du 17 octobre au 11 novembre
Au Théâtre Prospero
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