Holy Body Tatoo : Les enfants terribles
Scène

Holy Body Tatoo : Les enfants terribles

Originaire de Vancouver, The Holy Body Tattoo a prouvé qu’il est possible de réinventer le langage du mouvement en dehors de Montréal et Toronto. Bonne nouvelle: la compagnie sera à l’Usine C la semaine prochaine.

The Holy Body Tattoo est une compagnie unique sur plusieurs plans. D’abord, c’est le seul duo de chorégraphes -interprètes canadiens, Dana Gingras et Noam Gagnon, à travailler ensemble depuis près de quinze ans. Puis, la compagnie s’est fait connaître à travers le pays à partir de deux oeuvres seulement, Poetry and Apocalypse (1994) et Our Brief Eternity (1996). Enfin, ils ont démontré qu’il est possible de réinventer le langage du mouvement en dehors de Montréal et Toronto. "À Vancouver, nous sommes de gros poissons dans un petit étang; alors qu’à Montréal, nous sommes de petits poissons dans un immense lac", compare en rigolant Noam Gagnon, joint au téléphone plus tôt cette semaine à Halifax.

De petits poissons dans un immense lac, pas si sûr. Les représentations d’Our Brief Eternity ont fait salle comble à Montréal, voilà trois ans. C’est que le public montréalais aime le dynamisme et l’esprit de rébellion au coeur de la danse de Holy Body Tattoo. Bonne nouvelle: la compagnie viendra la semaine prochaine livrer sa dernière-née à l’Usine C. Circa explore la dimension douce-amère du sentiment amoureux. Le style et l’atmosphère de la troisième pièce de Holy Body Tattoo tranchent avec leurs précédentes oeuvres. Exit la musique infernale et la danse endiablée, un couple s’entrelace et se repousse sans cesse sur des airs de tango. Des images de Paris filmées en noir et blanc entrecoupent les étreintes, venant ajouter une note nostalgique et romantique à la pièce. En raison de la puissance de l’interprétation et du thème universel, Circa connaîtra sans doute un joli succès. "Circa signifie en anglais dans les alentours. On voulait que le décor (tout en rouge) évoque tour à tour une chambre à coucher, une taverne, un ballroom ou encore un bordel. On cherchait à reproduire l’atmosphère des années vingt ou trente", explique Noam Gagnon.

Selon le chorégraphe, Circa marque un virage dans l’évolution de la compagnie. À l’approche de la quarantaine, Dana et lui ne ressentent plus l’urgence de se démener sur scène. "On s’est aperçus que notre style chorégraphique survolté avait un impact sur notre vie quotidienne. Il fallait toujours qu’on vive de façon extrême, sans aucune nuance. Comme artistes et individus, il était temps que l’on passe à autre chose. Ce fut difficile à admettre car nous étions devenus d’excellents exécutants dans notre genre."

Le duo a mis plus de trois ans à concevoir la dernière pièce, à saveur autobiographique. À Paris, où les deux complices ont pris un cours de tango, ils ont constaté qu’il n’était pas facile d’abandonner leurs anciens réflexes. " Le langage de Circa se situe entre la tension et l’abandon. Pendant six mois, on a tenté d’en comprendre les nuances. La professeure n’arrêtait pas de nous dire qu’on était trop tendus, trop brusques ", se souvient Noam Gagnon. Les pas de tango que le duo exécute sur scène restent simples. En fait, Noam et Dana se servent de la danse originaire d’Argentine comme d’une métaphore de l’amour. " C’est un langage de négociations, sensuel et langoureux, qui nous manquait beaucoup", avoue Noam Gagnon.

Malgré tout, la gestuelle de Circa reste exigeante. Au bout d’une quinzaine de minutes, les interprètes suent à grosses gouttes. "Dans nos pièces précédentes, le travail se situait surtout au niveau de la physicalité; on poussait les limites de notre corps à l’extrême. Dans Circa, le travail se situe au niveau des émotions. On incarne des personnages qui nourrissent des attentes et des désirs inassouvis. On doit donc fournir un effort psychologique nuancé afin de rendre notre interprétation crédible. Ça peut paraître cucu, mais nos personnages ont besoin d’amour pour avancer. "

L’intimité qui se dégage du couple de danseurs laisse croire qu’ils partagent des sentiments plus que professionnels. Or, il n’en est rien. Cette intimité est apparue dès leur première rencontre, au milieu des années 80, et ne s’est jamais affaiblie depuis. "C’est peut-être grâce à notre relation platonique qu’on a pu travailler aussi longtemps ensemble", croit Noam Gagnon. La solidité de leur union est d’autant plus étonnante que les deux artistes semblent dotés d’une personnalité intransigeante. "À une certaine époque, on nous appelait les enfants terribles à Vancouver. Nous étions arrogants et nous avions des opinions tranchées sur tout."

Après avoir mené chacun une carrière de danseur indépendant à Vancouver, Ottawa et Montréal, Noam et Dana décident de démarrer ensemble leur carrière de chorégraphe à Vancouver, loin des influences de la communauté de la danse montréalaise alors en pleine expansion. "Je préférais laver la vaisselle plutôt que de danser pour des collègues québécois, explique le chorégraphe. Si nous étions restés à Montréal, nous n’aurions pas pu développer le langage de Holy Body Tattoo."

N’empêche que comme dans un couple, tout n’est pas rose. Des tensions surgissent lorsque l’un réfléchit comme un interprète, tandis que l’autre réagit comme un créateur. "On n’arrive alors à pas saisir les besoins de l’autre. C’est pourquoi on a demandé au chorégraphe québécois Daniel Léveillée d’agir comme un oeil extérieur." Depuis qu’ils ont créé cet été pour d’autres danseurs, dont Sarah Williams, les chorégraphes de Holy Body Tattoo jonglent avec l’idée de chausser uniquement les souliers de chorégraphe ou de danser pour des collègues invités. "Le fait de créer pour d’autres nous a permis de retourner à l’essence du langage de Holy Body Tattoo, et de savoir déjà de quoi retournera notre prochaine pièce." Chose sûre, il n’est pas question que l’un danse pour l’autre, ils auraient l’impression de trahir l’essence même de la compagnie. "Même quand on travaille chacun de son côté, on tend vers les mêmes choses. On est capables d’assurer les besoins de la compagnie au-delà de nos propres besoins."

Du 18 au 21 octobre
À l’Usine C
Dans le cadre de la série Danses à l’Usine

Solos masculins
Montréalais d’origine syrienne, Motaz Kabbani a pris des cours de danse chez Jo Lechay en même temps qu’il poursuivait un bac en ingénierie à l’Université McGill. On a pu applaudir ses solos au Studio 303, notamment. Le jeune artiste livrera ce week-end son premier spectacle d’importance au Théâtre La Chapelle. Singularités se compose de quatre courts solos interprétés sur des musiques de Carlos Lopes, Ganesh Anandan et Franz Schubert. Présenté à Toronto voilà une quinzaine de jours, ce spectacle fut salué par la critique. À découvrir.

Du 11 au 14 octobre, au Théâtre La Chapelle.