Dirk Roofthooft : Fuir sur place
Scène

Dirk Roofthooft : Fuir sur place

Dirk Roofthooft défend Rouge décanté, un bouleversant roman de Jeroen Brouwers transformé en monologue multimédia par Guy Cassiers.

"Je vis maintenant pour ce spectacle que je présenterai à Montréal. Je suis stressé et je ne dors plus. Et même en imaginant que ce soit un succès, je sais que ma satisfaction ne sera pas à la hauteur de mon stress et de mon désir de transmettre la beauté d’un auteur incroyable", affirme Dirk Roofthooft. Le comédien flamand dit et incarne à lui seul le roman Rouge décanté, une oeuvre du Néerlandais Jeroen Brouwers couronnée du prix Femina 1995.

L’histoire, écrite à la mémoire de la mère de l’auteur, raconte une lutte avec le passé qui, trop souvent, gouverne le présent. À la suite d’une expérience terrifiante dans un camp de concentration près de Djakarta pendant la Deuxième Guerre mondiale, Brouwers, qui y a vu sa grand-mère mourir et sa mère se faire humilier et violer, nous présente entre autres ses rapports avec les femmes et avec sa fille. Il n’avait que quatre ou cinq ans au moment de ces tragédies, et son corps, encore aujourd’hui, est tout imprégné de cette mémoire, de ces marques.

Ce livre écrit en finesse, cette prose qui traite d’un sujet sensible sans jamais appuyer sur les boutons de la sensiblerie, Roofthooft tâche de ne rien y ajouter, de la rendre du mieux qu’il peut. "Je me sens privilégié, car c’est tellement bien écrit qu’on doit seulement apprendre les mots et les transmettre. On ne reçoit un texte comme ça qu’une fois par dix ans, c’est un cadeau. C’est tellement nuancé que ça te prend et ne te laisse plus", ajoute l’acteur. Ici, plus que jamais, l’interprète est au service de l’écrivain, sommé de porter son univers avec humilité. "En fait, tout le travail avec les mots était déjà fait, la plus grande difficulté était de sacrifier des parties pour en faire un spectacle d’une durée raisonnable."

L’autre difficulté était de ne pas sombrer dans le pathos. "Il fallait prendre garde à ne pas tomber dans le sentimentalisme, et en même temps, je dois techniquement parvenir à jouer plusieurs âges et plusieurs époques dans les mêmes vêtements, sans changements de décor et, surtout, sans effets spectaculaires."

Le comédien incarne le personnage autant à cinq ans qu’à soixante, et la convention pour passer d’une époque à l’autre est très subtile: "Il y a des changements de ton et la voix peut devenir un peu plus haute." Il est d’ailleurs possible que le spectateur se perde un peu dans la chronologie: "Les changements peuvent parfois paraître incongrus pour qui n’est pas très attentif, aussi le travail avec le son et avec la lumière est très important."

SONS ET IMAGES

Par conséquent, Roofthooft exige un test de son de trois heures dans tous les théâtres. Comme le rythme et la compréhension du texte sont très liés au caractère multimédia du spectacle, rien ne doit flancher techniquement. Le silence, autant que l’environnement sonore, est capital dans cette mise en scène. Le puissant monologue que doit livrer Roofthooft est soumis à une interaction parfaite avec la technique. De plus, des images captées en direct et projetées en gros plan permettent à l’acteur d’aller dans les zones les plus nuancées.

C’est par le sentiment d’immobilité, dont la fin de la pièce est imprégnée, que le comédien se sent le plus près de l’auteur: "J’ai maintenant 48 ans et j’ai beau avoir vécu plein d’expériences, avoir joué partout dans le monde, j’ai toujours la forte impression d’être immobile." Et, comme le répète Jeroen Brouwers, nulle chose n’existe qui n’en touche une autre. Laissons à l’écrivain néerlandais le mot de la fin: "…mon patin à roulettes s’est enfoncé dans le sol fondu. Il s’y est définitivement coincé, de sorte que le monde entier est suspendu à mon pied droit. Immobile, je suis obligé de rester debout, regardant ce qui se passe devant moi, tandis que mon visage dégouline le long de mon corps parce que mes yeux pleurent."

Du 24 au 26 mai
À l’Usine C