Guy Nadon : Le mors aux dents
Scène

Guy Nadon : Le mors aux dents

Guy Nadon tient le rôle du psychiatre dans Equus, une pièce du Britannique Peter Shaffer qui, bien qu’elle ait été créée il y a 35 ans, continue de remettre en question le concept de normalité.

La pièce de Peter Shaffer, que Daniel Roussel met en scène ces jours-ci à la Compagnie Jean Duceppe, entrechoque deux visions du monde. Dans un coin, il y a le jeune Alan Strang, amoureux fou d’un cheval. Son désir hors norme fera naître tant de culpabilité que le garçon de 17 ans posera un geste irréparable: crever les yeux de six chevaux avec un pic de métal. Dans l’autre coin, il y a Martin Dysart, le pédopsychiatre d’une clinique de province, 45 ans, dépassé par le caractère extrême, rarissime, de son nouveau cas.

Cet homme qui s’adresse aux spectateurs pour leur confier ses doutes, c’est Guy Nadon qui se prépare à l’incarner. "Au moment où le garçon arrive, explique le comédien, mon personnage traverse une crise de la quarantaine, un épuisement professionnel et personnel. Sa vie est dans une impasse. S’il prend soin des autres, c’est parce qu’il se néglige complètement. Il est compétent dans son domaine, mais il a très peu de talent pour lui-même. En fait, c’est le guérisseur blessé. En faisant des recherches, j’ai découvert que Dysart est un nom gaélique, un nom écossais qui remonte au 13e siècle et qui signifie "désert". C’est exactement ce qu’est Dysart, un désert. La vie l’a quitté."

Comme le psychiatre et son patient, incarné par Éric Bruneau, sont à des moments charnières de leur vie, dans des états limites, une véritable rencontre se produit, une confrontation dont ils sortiront transformés à jamais. "L’un est le miroir du chaos de l’autre, lance Nadon. À la fin de la pièce, on ne sait pas si Dysart se suicide ou s’il va abandonner son travail. Tout est possible. Chose certaine, il ne pourra plus jamais revenir en arrière. Pour l’instant, il est au théâtre, dans un cérémonial où il explique au public ce qu’il a vécu. À la manière de Sisyphe, il est condamné à raconter cette histoire indéfiniment."

Pour certains, le vrai sujet de la pièce de Shaffer est l’homosexualité. "Dans les années 70, estime Nadon, il y avait forcément quelque chose de très crypto-gai dans la pièce. Elle était alors perçue comme une fable sur le chaos que peut représenter la pulsion sexuelle. Depuis, tout cela a été vu et revu. À mon avis, le vrai sujet n’est pas l’homosexualité, c’est la difficulté d’être qui on est, de ne pas ressembler à tout le monde, de ne pas correspondre au modèle établi, à la norme."

En effet, le texte s’attache à la quête de deux individus qui dévient, qui refusent de se glisser dans le moule qui leur est destiné. "Le psychiatre est un pur produit de la société, affirme Nadon. Selon lui, pour qu’il y ait une civilisation, il faut sacrifier ce qui échappe à la norme. L’arrivée de Strang le plonge dans une profonde remise en question, sème un doute important sur la valeur de sa profession. Mais, pour ne pas menacer la société, Dysart est obligé d’occulter son doute."

En traduisant la pièce, le comédien et le metteur en scène ont donc choisi d’insister sur la relation entre ces deux individus prêts à sauter du haut de la falaise. "C’est cette rencontre qui est fondamentale, précise Nadon. Elle nous redit à quel point il est difficile de vivre. Elle nous rappelle qu’on galope tous dans des cauchemars sur lesquels on met un couvercle."

La pièce, également défendue par Micheline Bernard, Éric Cabana, Eve Gadouas, Germain Houde, Michelle Labonté, Louise Laprade et Raymond Legault, nous entraîne donc dans des zones troublantes, celles de l’inconscient, de la mythologie et de la spiritualité. Selon le comédien, "une des choses que le théâtre peut offrir à la société, c’est de la faire entrer dans un endroit de l’imaginaire et de la conscience où on abolit les repères habituels de la morale. C’est encore plus important à une époque où la télévision est entachée de moraline aiguë."

Du 23 avril au 31 mai
Au Théâtre Jean-Duceppe
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EQUUS

La pièce de Peter Shaffer a été créée à Londres en 1973, avant d’être jouée à plus de 1200 reprises à Broadway, où elle a reçu de nombreux prix. En 1977, Sidney Lumet dirigeait Richard Burton et Peter Firth dans une adaptation cinématographique. Après Londres, la nouvelle production mettant en vedette Richard Griffiths et Daniel Radcliffe, l’interprète du fameux Harry Potter, sera présentée à New York dans les mois qui viennent, toujours avec Radcliffe. Au Québec, Equus a été créée au TNM en 1975. Olivier Reichenbach avait fait appel à Jean-Louis Roux et Daniel Gadouas. Le spectacle avait obtenu beaucoup de succès et fait couler beaucoup d’encre. En 1994, Serge Denoncourt dirigeait Paul Savoie et Benoît Vermeulen dans une version produite par le Théâtre populaire du Québec.