King Lear contre-attaque : Joyeux bordel
Scène

King Lear contre-attaque : Joyeux bordel

Avec King Lear contre-attaque, les Productions Préhistoriques, de Québec, offrent une soirée drôlement rafraîchissante.

Sur la scène d’Espace Libre ces jours-ci, une joyeuse bande de clowns atypiques, de la femme-chat (Catherine Larochelle) à l’homme de Cro-Magnon (Francis Martineau), sans oublier le matelot (Alexia Bürger), le cuistot (Sophie Martin) et le cowboy (Alexandre Morais), ont décidé de jouer King Lear, tragédie baroque de Shakespeare. Mais voilà que prise d’angoisse devant la complexité de l’intrigue, la princesse (Véronika Makdissi-Warren) lance dans un souffle: "On va vous faire Othello, O.K.?".

Et ce sont bien les amours sulfureux de Desdémone et du Maure de Venise qui prendront la scène d’assaut, brouillées par les insolences de Iago et les interventions impromptues d’Hamlet ou Roméo. Un magnifique bordel shakespearien offert par des acteurs-clowns insouciants et impertinents qui prennent tout au premier degré et s’échangent constamment les rôles. King Lear contre-attaque, c’est du clown à la manière de Jacques Lecoq, qui prend sa source dans le corps de l’acteur et s’imbrique à sa personnalité, du clown essentiellement ancré dans le geste. Et sur une scène montréalaise, c’est drôlement rafraîchissant.

Les six hurluberlus entrent en scène les yeux grands ouverts, le regard vide, le sourire naïf mais fendu jusqu’aux oreilles, et jouent Shakespeare dans ses grandes lignes, en se permettant digressions, libertés et décrochages, sans presque réciter une seule ligne du grand Will, mais en respectant tout de même son oeuvre légendaire. De toute cette entreprise, c’est le plaisir de jouer qui domine. Les clowns répètent leurs gags jusqu’à satiété, s’éclatent dans les ombres chinoises, dansent et chantent leur amour ou se perdent dans l’intrigue en se tapant les cuisses de plaisir coupable.

La trame sonore est discrète et la scène presque nue (inspirante scénographie à l’élisabéthaine de Jean-François Labbé), si bien que s’installe une ambiance toute particulière, rapport privilégié entre la scène et la salle qui est le propre des spectacles dépouillés. Ils ont tous, sans exception, créé un personnage singulier et inimitable, qu’ils jouent avec le plus grand naturel comique. Voilà du théâtre enfantin, naïf et rigolo qui ne fait que du bien.