Frédéric Dubois : Québec-Montréal
Scène

Frédéric Dubois : Québec-Montréal

Frédéric Dubois, talentueux metteur en scène de la Vieille Capitale, a droit à un automne de pérégrinations alors que débarquent à Montréal deux de ses réalisations: La Cantatrice chauve et La Leçon, au Théâtre Denise-Pelletier, et une création, Le Palier, à La Licorne.

Si plusieurs Montréalais l’ont découvert l’an dernier au Théâtre d’Aujourd’hui avec Bacchanale, la pièce controversée d’Olivier Kemeid, le public de Québec connaît amplement les multiples facettes de Frédéric Dubois. À 30 ans, le metteur en scène a déjà célébré le dixième anniversaire de sa compagnie (le Théâtre des Fonds de Tiroirs), a travaillé sur toutes les scènes de la Vieille Capitale, en plus de se lancer sans arrêt dans différents univers, de la pièce-fleuve en plein air (Vie et mort du roi boiteux, 2004) à la comédie musicale à grand déploiement (Les Misérables, 2008). Et cette fois encore, on le découvrira sous un nouveau jour.

La Cantatrice chauve était la toute première production des Fonds de Tiroirs, en 1997, alors qu’une partie de la distribution n’avait même pas encore été admise au Conservatoire. Dix ans plus tard, tous diplômés et très actifs sur la scène québécoise, les six comédiens décident de replonger dans l’univers décalé de Ionesco, "pour le plaisir de retrouver cet esprit-là, ce texte qui appelle le délire, le dérèglement et la provocation", précise le metteur en scène. Mais cette fois, le salon bourgeois de monsieur et madame Smith, mais surtout leurs conversations pleines de vides, leur ont inspiré une réflexion sur l’angoisse.

"Ionesco disait que la solitude est le seul endroit où les humains se retrouvent. C’est notre prémisse de travail; à partir de là, j’ai réfléchi à ma propre angoisse devant, par exemple, mon père malade et les visages tristes croisés dans les chambres d’hôpital. On a aussi, dans les toutes premières phases du travail, regardé des documentaires sur l’Alzheimer, pas pour s’en inspirer directement, mais pour laisser cela s’implanter en nous, comme une base souterraine qui a inconsciemment nourri le jeu des acteurs."

Ainsi, dans les vides et les silences de la conversation des Smith et des Martin, Dubois a imaginé la cantatrice chauve prendre forme, telle une matérialisation du néant angoissant. À Québec, une chanteuse invitée venait chaque soir lui donner vie. L’idée a été abandonnée pour la tournée, mais le souvenir de l’énigmatique cantatrice est présent dans la trame musicale, d’abord composée des sonorités caverneuses de l’orgue et puis graduellement menée vers des rythmes tribaux et urbains, à mesure que la logique de la discussion s’étiole et que le langage se déconstruit.

Le langage, ses mécanismes, son pouvoir sont aussi au centre de La Leçon, courte pièce du grand maître de l’absurde que la troupe présente immédiatement après La Cantatrice chauve. Une étudiante suit un cours particulier auprès d’un professeur autoritaire et agressif, qui la torture avec une matière indigeste, jusqu’à la faire craquer. La pièce dénonce l’autoritarisme, voire le nazisme, mais Dubois y aussi creusé l’idée de l’angoisse, "parce qu’on étouffe littéralement en écoutant le discours du professeur." Ici, les acteurs doivent être virtuoses, la langue est musicale, répétitive, et le metteur en scène a voulu que la voix crée un effet hypnotique.

Dans les deux pièces, toutefois, on ne perd pas de vue l’essence du théâtre de Ionesco, qui demande un jeu mécanique, calculé, chorégraphique. "Le corps est à la fois neutre et ouvert, précise Dubois, c’est une surface où tout peut rebondir." Pour représenter l’absurdité de la vie et la peur de la mort (autre obsession de Ionesco), la mise en scène s’attarde aux contrastes: de jeunes acteurs jouant les vieux, des corps vigoureux mais une attitude éteinte ou un temps qui s’allonge et se rétrécit constamment.

DE L’ANGOISSE A LA TENDRESSE

Dans Le Palier, premier texte de Réal Beauchamp et Jean-Guy Côté, il est aussi question de solitude et d’appréhension de la mort, mais dans une tout autre tonalité. Invité par le Théâtre du Tandem, de Rouyn-Noranda, Dubois n’a pas hésité une seconde à s’approprier cette histoire d’amitié et de tendresse entre une femme malade et un jeune homme. "C’est à des lieues de ce que je fais d’habitude, souligne-t-il; c’est un texte simple et touchant, qui ne renouvelle rien, mais qui me permet de renouer avec le théâtre dans sa forme la plus simple. C’est très humble, et ça me fait du bien." Modeste, le touche-à-tout dit s’être éclipsé derrière le texte, concentrant son travail sur la direction d’acteurs, heureux d’y trouver le plaisir du jeu et de la rencontre.