La Cantatrice chauve / La Leçon : Perdre et retrouver la raison
Scène

La Cantatrice chauve / La Leçon : Perdre et retrouver la raison

Pour notre plus grand bonheur et pour celui des spectateurs adolescents du Théâtre Denise-Pelletier, le Théâtre des Fonds de Tiroirs visite Montréal avec La Cantatrice chauve et La Leçon.

Le Théâtre des Fonds de Tiroirs offre enfin aux Montréalais son programme Ionesco, un doublé créé en 1997 et repris l’an dernier dans la Vieille Capitale pour marquer le 10e anniversaire de la compagnie. Avec ces relectures de La Cantatrice chauve et de La Leçon, presque aussi jouissives que celle de Téléroman (le Larry Tremblay qu’on a eu la chance de voir à La Licorne en 2005), Frédéric Dubois rend brillamment justice au maître de l’absurde, tout en jetant les bases d’une signature qui nous est maintenant indispensable.

Trouver le ludisme dans la contrainte, la rigueur dans la folie, voilà la force du metteur en scène. Parvenant à dompter des langues aussi souveraines que celles de Ronfard, Queneau ou Ducharme, l’homme livre des spectacles limpides, des objets aussi drôles qu’inquiétants. Cela dit, sous sa houlette, La Cantatrice chauve est plus souvent délirante qu’angoissante. Démonstration extrêmement convaincante mais surtout particulièrement divertissante de la terrible banalité du quotidien, la rencontre des Smith (Ansie St-Martin et Sylvio-Manuel Arriola) et des Martin (Monelle Guertin et Jonathan Gagnon) est un feu roulant, une impressionnante partition de gestes, de mots et de sons. Ici, tout fonctionne selon la logique du double et de l’écho. La machinerie est si bien réglée, si bien huilée, si implacable qu’on ne peut s’empêcher de penser aux premiers spectacles de Denis Marleau ou encore à ceux du Groupe Audubon.

Sur leur promontoire incliné, dans la lumière de projecteurs qui se jouent habilement de leurs ombres, les comédiens, à commencer par St-Martin et Arriola, sont admirables. Christian Michaud est un pompier décadent et Catherine Larochelle, une bonne irrésistible. Tordante parodie de danse contemporaine, le passage où elle récite son "incandescent" poème est l’un des moments forts. Tout aussi cruciales que la performance des acteurs, les ambiances sonores de Pascal Robitaille, à commencer par cet orgue tout droit sorti d’un bon vieux soap opera, sont ni plus ni moins qu’un personnage de plus dans cette savoureuse histoire sans queue ni tête.

Le soir de la première, Sylvio-Manuel Arriola et Ansie St-Martin ont été choisis, par tirage au sort, pour endosser le professeur et l’élève, protagonistes de La Leçon. Si les comédiens se sont bien acquittés de leur tâche, il faut avouer que la courte pièce, jouée à l’avant-scène de manière plutôt statique, est revisitée avec peu d’inventivité. C’est dommage, mais cela ne suffit pas à entacher le plaisir immense que la première partie de la soirée nous a procuré.