Le Pillowman : Contes cruels
Scène

Le Pillowman : Contes cruels

Avec Le Pillowman, de Martin McDonagh, livré dans une mise en scène implacable de Denis Bernard, le Théâtre de la Manufacture frappe fort et juste.

En 2001, le Théâtre de la Manufacture nous avait donné La Reine de beauté de Leenane, de l’Irlando-Britannique Martin McDonagh, un immense succès signé Martin Faucher. Six ans plus tard, Denis Bernard livrait une mise en scène particulièrement inspirée de Coma Unplugged, un texte de Pierre-Michel Tremblay, une production couverte d’éloges. On a beau se méfier des recettes, quand on a su que Bernard allait monter McDonagh, on s’est dit que le résultat avait toutes les chances d’être détonant. Faut-il préciser que nos attentes ont été largement comblées?

Dans une société où l’oeuvre d’art est suspecte par définition, où la littérature est menaçante, incriminante par essence, un écrivain, Katurian, aussi boucher (un personnage dont Antoine Bertrand exprime aussi bien la détresse que la ténacité), et son jeune frère, Michal, handicapé intellectuel (Frédéric Blanchette, particulièrement juste et surtout très émouvant), sont interrogés par deux policiers joliment névrosés aux méthodes peu orthodoxes (Daniel Gadouas et David Boutin, impeccables).

Le problème, c’est que certaines des nombreuses histoires que Katurian couche sur le papier – des contes d’une horreur sans nom et pourtant étrangement réconfortants – sont devenues réalité. En effet, des enfants ont trouvé la mort de la même manière que dans les écrits de notre homme. Évidemment, avec des preuves aussi accablantes, on a toutes les raisons de soupçonner ce grand gaillard d’avoir mis ses fantasmes à exécution. On ne peut guère en dire plus sur l’intrigue sans en dire trop. Ajoutons simplement que le suspense est constant et qu’aucune scène n’est superflue, comme les morceaux d’un puzzle.

Cela dit, il faut admettre que ce qui donne toute son ampleur au huis clos, c’est une alternance entre le réel et l’imaginaire, ou plutôt l’éclairage que la fiction (terrible et pourtant éminemment salvatrice) jette sur la réalité. Pour incarner cela sur scène, Denis Bernard a choisi de créer des fantasmagories grotesques, des morceaux de théâtre dans le théâtre où toute la distribution (incluant Marie-Ève Milot dans le rôle des enfants) se transforme en d’effrayantes marionnettes. Ces visions, qui au départ nous choquent, finissent par nous ravir. Au fond, n’est-ce pas précisément ce qu’on attend du théâtre?

À voir si vous aimez /
Des souris et des hommes, de John Steinbeck, et Gagarin Way, de Gregory Burke