Alvis Hermanis : Vivre d'espoir
Scène

Alvis Hermanis : Vivre d’espoir

En 1968, en Lettonie, tous les espoirs sont permis. C’est là que nous emmène The Sound of Silence, un spectacle sans paroles bercé par la musique de Simon & Garfunkel. Alvis Hermanis, figure de proue du théâtre européen, nous en parle.

"Les années 60 m’inspirent, dit Alvis Hermanis, parce que les espoirs collectifs y ont atteint un paroxysme inégalable. Pour moi, il y a là une véritable leçon de vie. C’est la dernière fois dans l’histoire que l’humain a fait de vrais efforts pour l’instauration d’un bonheur collectif. Les hippies n’ont pas réussi cette énorme mission, mais au moins ils ont essayé. Je ne vois nulle part en ce moment de signes qu’une telle entreprise puisse encore se produire."

Long Life, un précédent spectacle du metteur en scène letton, s’intéressait au sort de cinq personnes âgées vivant dans un appartement communautaire, abandonnées par une société qui ne se soucie plus de ses vieux. Ceux qui ont eu la chance de voir ce spectacle en 2006 au Carrefour international de théâtre à Québec seront heureux de retrouver dans The Sound of Silence les cinq mêmes personnages à un tout autre moment de leur histoire, pétillants de jeunesse et remplis d’espoir.

Mais Hermanis se tourne vers le passé non pas tant pour décrier le présent que pour le simple plaisir de faire revivre le flower power, époque bénie qu’il n’a d’ailleurs pas lui-même connue (il est né en 1965). "J’ai toujours pensé que le seul défi en art est de créer quelque chose de positif d’un bout à l’autre. On voulait parler du bonheur de façon poétique et émotionnelle." De la musique de Simon & Garfunkel, inspiration première de l’oeuvre, il dira d’ailleurs qu’"elle dégage une énergie très positive". "J’ai réécouté récemment un épisode d’un talk-show américain dans lequel Janis Joplin, un mois avant sa mort, riait et paraissait heureuse, mais on sent bien que c’était artificiel, qu’au fond, les forces créatrices qui la guidaient étaient autodestructrices. Simon & Garfunkel font une musique plus pure, et en plus, leur poésie n’était pas bêtement sentimentale et convenue: il y a une réelle profondeur dans leurs chansons. C’est ce qu’il nous fallait."

S’il parle toujours au nous, c’est bien parce que le collectivisme dont il est question dans le spectacle, il le porte véritablement en lui. Le Nouveau Théâtre de Riga, qu’il a fondé et qu’il dirige, est un vrai collectif théâtral, comme il ne s’en fait presque plus; une troupe qui ferait rougir d’envie n’importe lequel des sympathisants du mouvement de création collective des années 70 au Québec. "Je ne suis pas un directeur d’acteurs, explique-t-il, je ne fais qu’être à l’écoute de la créativité de mes acteurs. Chaque personnage est créé en accord avec la personnalité de l’acteur qui le joue et à partir de ses suggestions."

Souvent décrite comme une tragi-comédie, la pièce se joue des frontières entre le rire et les larmes. "Je suis vieux jeu, confesse Hermanis, je crois que le théâtre est avant tout un vecteur d’émotions, je veux centrer ma pratique sur les émotions les plus essentielles: qu’on puisse rire et pleurer, sans trop intellectualiser." Parions que le public montréalais s’abandonnera sans pudeur à cette alléchante proposition.